« Je ne suis pas votre domestique ! » – Mon combat pour retrouver ma voix au sein de la famille de mon mari
« Tu pourrais au moins débarrasser la table, Camille. Ce n’est pas à moi de tout faire ici. »
La voix sèche de ma belle-mère résonne encore dans la cuisine, alors que je serre les dents, les mains tremblantes sur une assiette ébréchée. Paul, mon mari, ne lève même pas les yeux de son téléphone. Je me sens invisible, comme un fantôme qui erre dans cette maison de banlieue parisienne où nous avons emménagé après notre mariage.
Je n’ai jamais imaginé que ma vie prendrait ce tournant. J’étais une jeune femme pleine d’ambitions, diplômée en lettres modernes, rêvant d’enseigner et de voyager. Mais l’amour a ses chemins imprévisibles : j’ai rencontré Paul à la fac, et très vite, il m’a présenté à sa famille. Les premiers temps, tout semblait parfait. Sa mère, Françoise, m’accueillait avec des sourires polis, son père, Gérard, me posait des questions sur mes études. Mais dès que nous avons annoncé notre mariage, quelque chose a changé.
Le jour de notre installation dans leur maison – « en attendant d’avoir notre propre appartement », disait Paul – j’ai senti le piège se refermer. Les tâches ménagères sont devenues mon lot quotidien. « Camille, tu pourrais repasser les chemises de Paul ? », « Tu as pensé à préparer le dîner ? », « Il faudrait nettoyer la salle de bains… »
Au début, j’ai obéi sans broncher. Je voulais plaire, être acceptée. Mais chaque jour, je sentais un peu plus mon identité s’effriter. Mes rêves d’enseignement se sont éloignés ; il n’était plus question de postuler à ce poste à Lyon dont je parlais tant. « Ce n’est pas raisonnable de partir si loin alors que Paul travaille ici », m’avait dit Françoise d’un ton sans appel.
Un soir d’hiver, alors que je rangeais la vaisselle après un dîner familial interminable, j’ai surpris une conversation dans le salon.
— Elle est gentille, mais elle ne fait pas grand-chose, tu ne trouves pas ?
— Elle s’habituera, répondit Françoise. C’est normal, c’est son rôle maintenant.
J’ai senti une boule se former dans ma gorge. Mon rôle ? Était-ce donc cela, être une épouse en France aujourd’hui ?
Les semaines ont passé et la pression s’est accentuée. Paul ne voyait rien ou ne voulait rien voir. Quand j’osais lui parler de mon malaise, il haussait les épaules : « Tu sais comment est ma mère… Laisse couler. » Mais comment laisser couler quand chaque jour ressemble à une épreuve ?
Un dimanche matin, alors que je tentais de profiter d’un rare moment seule dans le jardin, Françoise est venue me trouver.
— Camille, il faudrait que tu ailles faire les courses avec moi. Et n’oublie pas de préparer le déjeuner pour midi.
Je me suis levée brusquement.
— Je ne suis pas votre domestique !
Le silence est tombé comme un couperet. Françoise m’a regardée avec un mélange de surprise et de mépris.
— Tu exagères. C’est normal d’aider sa famille.
J’ai senti mes mains trembler. J’aurais voulu crier, pleurer, partir en courant. Mais je suis restée là, figée.
Ce soir-là, j’ai écrit une longue lettre à ma mère. Je lui ai tout raconté : la solitude, l’incompréhension de Paul, l’étouffement progressif. Elle m’a appelée en larmes :
— Ma chérie, tu n’as pas à supporter ça. Viens à la maison si tu en as besoin.
Mais partir signifiait tout quitter : mon couple, mes espoirs d’une vie indépendante avec Paul. J’ai hésité des semaines durant.
Un soir où Paul est rentré tard du travail – sans un mot pour moi –, j’ai pris mon courage à deux mains.
— Paul, il faut qu’on parle.
— Quoi encore ?
— Je ne peux plus vivre comme ça. Ta famille attend de moi que je sois leur servante. Je ne suis pas heureuse.
Il a soupiré longuement.
— Tu dramatises toujours tout…
J’ai compris alors qu’il ne me soutiendrait jamais. Cette nuit-là, j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. Le lendemain matin, j’ai fait ma valise et je suis partie chez ma mère.
Les semaines suivantes ont été un mélange de soulagement et de culpabilité. Ma mère m’a entourée d’amour et d’écoute. Mais la honte me rongeait : avais-je échoué ? Était-ce ma faute si je n’avais pas su m’adapter ?
Un jour, alors que je marchais dans les rues de mon quartier d’enfance, une voisine m’a arrêtée :
— Camille ! Tu es revenue ? Ça va ?
J’ai hésité avant de répondre.
— Je reprends ma vie en main… Enfin, j’essaie.
Peu à peu, j’ai retrouvé confiance en moi. J’ai postulé à ce poste d’enseignante à Lyon – et je l’ai obtenu. J’ai recommencé à sortir avec des amies, à rire sans arrière-pensée.
Mais parfois, la nuit, je repense à cette maison où j’ai perdu ma voix. Je me demande combien de femmes vivent encore cette situation en silence.
Est-ce vraiment cela qu’on attend des femmes aujourd’hui ? Jusqu’où doit-on aller pour être acceptée ? Et vous… qu’auriez-vous fait à ma place ?