Je ne suis pas qu’une malade : La nuit où j’ai tout perdu
« Tu comprends, Claire, je dois y aller… Maman ne va pas bien, et moi non plus. »
La voix de Julien tremblait à peine, mais je sentais déjà le mensonge s’insinuer dans la pièce, comme un courant d’air froid. Il attrapa sa veste, évita mon regard et claqua la porte derrière lui. Il était vingt-deux heures. Les enfants dormaient, et moi, je restais là, assise sur le canapé du salon, les mains crispées sur un mug de tisane tiède.
Je n’étais pas idiote. Depuis des semaines, Julien s’éloignait. Il rentrait tard du travail à la mairie, prétextait des réunions, des urgences. Je voyais bien qu’il ne me touchait plus du regard, qu’il évitait nos conversations. Mais ce soir-là, tout était différent. Je sentais que quelque chose se brisait pour de bon.
J’ai attendu. Minuit. Une heure du matin. J’ai envoyé un message : « Tu rentres ? » Pas de réponse. J’ai appelé sa mère, Françoise. Sa voix ensommeillée m’a glacée : « Mais non, Claire, il n’est pas là… »
C’est là que la panique a commencé à me ronger. J’ai pensé à tout : l’accident, l’hôpital… Mais au fond de moi, je savais déjà. J’ai ouvert l’ordinateur familial, cherché dans ses mails – je n’en suis pas fière – et j’ai trouvé ce que je redoutais : des échanges avec une certaine Sophie, collègue à la mairie. Des mots doux, des rendez-vous secrets. La trahison était là, noire sur blanc.
Le lendemain matin, j’ai dû affronter les enfants seule. Camille, sept ans, m’a demandé : « Il est où papa ? » J’ai menti : « Chez Mamie, il va revenir. » Mais mon cœur se serrait à chaque mot.
Julien est rentré vers midi, les yeux cernés, l’air coupable. Il a marmonné : « On doit parler. »
— Tu étais avec elle ? ai-je lancé sans détour.
Il a baissé la tête.
— Je suis désolé… Je ne voulais pas que tu l’apprennes comme ça.
Un silence épais s’est installé entre nous. J’ai senti la colère monter, mais aussi une immense tristesse. Douze ans de mariage, deux enfants, et tout s’effondrait en une nuit.
— Tu comptes faire quoi ? ai-je demandé d’une voix blanche.
— Je… Je crois que j’ai besoin de temps. Pour réfléchir.
J’ai ri nerveusement. Du temps ? Et moi alors ? Et les enfants ?
Les jours suivants ont été un cauchemar éveillé. Les regards curieux des voisins dans notre petite ville de Bourgogne, les questions des enfants, les appels de ma mère qui sentait bien que quelque chose n’allait pas. J’ai dû continuer à travailler à la pharmacie du village, sourire aux clients alors que j’avais envie de hurler.
Mais le pire n’était pas la trahison. Non, le pire est venu quelques semaines plus tard, quand j’ai appris que ma maladie – cette sclérose en plaques qui me rongeait en silence depuis deux ans – s’aggravait. Mon neurologue à Dijon m’a annoncé froidement : « Il va falloir envisager un traitement plus lourd… »
J’étais seule face à tout ça. Julien venait voir les enfants le week-end, mais il ne me regardait plus. Il vivait chez Sophie maintenant. Ma famille m’a soutenue comme elle a pu, mais je voyais bien leur inquiétude.
Un soir d’automne, alors que la pluie battait contre les vitres et que Camille pleurait parce qu’elle voulait son père, j’ai craqué. J’ai appelé Julien :
— Tu n’as pas le droit de nous laisser comme ça !
— Claire… Je suis désolé… Je ne sais pas quoi faire…
— Tu as fait ton choix !
J’ai raccroché en hurlant de rage et de douleur.
Mais c’est aussi ce soir-là que j’ai compris quelque chose d’essentiel : je n’étais pas qu’une malade abandonnée par son mari. J’étais une femme forte, une mère aimante. J’avais le droit d’exister autrement que dans le regard de Julien ou dans la pitié des autres.
J’ai commencé à écrire un journal pour ne pas sombrer. J’ai rejoint un groupe de soutien pour femmes atteintes de maladies chroniques à Dijon. J’y ai rencontré Hélène, une battante qui m’a dit un jour : « On n’est pas nos maladies ni nos blessures. On est ce qu’on décide d’être demain. »
Petit à petit, j’ai repris goût à la vie. J’ai emmené les enfants en vacances chez ma sœur à La Rochelle. J’ai repris la peinture, une passion oubliée depuis l’enfance. J’ai même accepté un rendez-vous avec Marc, un collègue discret qui m’avait toujours soutenue.
Bien sûr, il y a encore des jours sombres. Des matins où la fatigue me cloue au lit, où la solitude me serre le cœur. Mais je me bats pour mes enfants et pour moi-même.
Aujourd’hui, quand je croise Julien au marché du village avec Sophie à son bras, je ressens encore une pointe de douleur – mais aussi une immense fierté d’avoir survécu à cette nuit où j’ai tout perdu.
Est-ce qu’on peut vraiment se reconstruire après avoir été trahie et brisée ? Ou bien garde-t-on toujours au fond de soi cette cicatrice invisible ? Qu’en pensez-vous ?