Quand l’amour fait mal : Le combat d’une mère pour son enfant
— Tu ne comprends donc pas, Camille ?! Ce n’est pas une vie, ça !
La voix de Julien résonne encore dans la cuisine, tranchante, presque étrangère. Je serre la tasse de café entre mes mains tremblantes, le regard fixé sur la fenêtre embuée. Dehors, la pluie martèle les pavés de notre petite rue de Nantes, mais à l’intérieur, c’est un orage bien plus violent qui gronde.
— Ce n’est pas à toi de décider si notre enfant mérite de vivre ou non, murmuré-je, la gorge serrée.
Julien soupire, se passe une main dans les cheveux, puis s’éloigne sans un mot. Depuis l’annonce, il n’est plus le même. Il évite mon regard, fuit les rendez-vous médicaux, laisse sa mère, Monique, envahir notre appartement et nos décisions.
Tout a commencé il y a trois semaines. J’étais enceinte de six mois, et nous avions rendez-vous pour une échographie de routine. Je me souviens du sourire de la sage-femme qui s’est figé, du silence pesant dans la salle blanche, du médecin qui a pris ma main :
— Madame Lefèvre, votre bébé présente une malformation cardiaque sévère. Il faudra envisager une opération à la naissance…
Le reste s’est brouillé. Les mots « risque », « souffrance », « incertitude » se sont mêlés à mes larmes. Mais au fond de moi, une certitude est née : je me battrai pour mon enfant, quoi qu’il arrive.
Julien, lui, s’est effondré. Il a appelé sa mère le soir-même. Monique est arrivée le lendemain, avec ses jugements tranchants et ses certitudes de femme qui sait tout sur tout.
— Camille, tu dois penser à toi. À Julien. Ce n’est pas raisonnable de garder cet enfant. Tu veux vraiment imposer ça à toute la famille ?
Je me suis sentie trahie, seule contre tous. Ma propre mère, trop loin à Lyon, me soutenait au téléphone, mais ici, dans cet appartement devenu glacé, je n’avais plus personne.
Les jours ont passé. Les rendez-vous à l’hôpital Necker se sont enchaînés. Les médecins m’ont parlé d’espoir, de progrès médicaux, de bébés qui s’en sortent. Mais Julien n’écoutait plus. Il s’enfermait dans le silence ou dans les bras de sa mère.
Un soir, alors que je préparais une soupe, Monique a posé sa main sur mon épaule :
— Tu sais, Camille, il existe des solutions. On peut interrompre la grossesse. Personne ne t’en voudra. Ce serait même courageux…
J’ai éclaté :
— Le courage, c’est d’aimer son enfant, même imparfait !
Elle a reculé, choquée. Julien est entré à ce moment-là. Il a pris sa mère dans ses bras, m’a lancé un regard dur :
— Tu es égoïste, Camille. Tu penses à toi, pas à nous.
Cette nuit-là, j’ai dormi sur le canapé. J’ai senti mon bébé bouger sous ma main, fragile et vivant. J’ai pleuré en silence, priant pour trouver la force de continuer.
Les semaines suivantes ont été un calvaire. Monique organisait des « réunions familiales » où tout le monde donnait son avis sur mon ventre, sur ma vie. Julien ne me défendait plus. J’ai commencé à douter. Et si j’étais vraiment égoïste ? Et si je condamnais mon enfant à souffrir ?
Un matin, j’ai reçu un message de ma mère : « Ne laisse personne décider pour toi. Tu es sa maman. »
Ces mots m’ont réveillée. J’ai pris rendez-vous seule avec le chirurgien pédiatrique. Il m’a expliqué les risques, mais aussi les chances. Il m’a parlé d’autres mamans, d’autres enfants qui rient aujourd’hui dans les parcs.
Je suis rentrée chez moi, déterminée. J’ai trouvé Julien et Monique assis dans le salon, en train de discuter à voix basse.
— J’ai pris ma décision, ai-je dit d’une voix ferme. Je vais garder notre bébé. Je vais me battre pour lui.
Julien a blêmi. Monique a éclaté :
— Tu vas détruire notre famille !
— Non, ai-je répondu calmement. Je vais la sauver.
Les jours suivants ont été froids, tendus. Julien a dormi chez sa mère. Je me suis retrouvée seule pour préparer la chambre du bébé, seule pour affronter les regards des voisins, seule pour répondre aux questions des médecins.
Mais je n’étais plus faible. J’ai rejoint un groupe de soutien à l’hôpital. J’y ai rencontré Sophie, une autre maman qui avait traversé la même épreuve. Elle m’a prise dans ses bras :
— Tu n’es pas seule, Camille. Ton amour est plus fort que tout.
Le jour de l’accouchement est arrivé. Julien n’était pas là. Ma mère a pris le premier train de Lyon pour être à mes côtés. Quand j’ai entendu le cri de mon fils, Paul, j’ai su que tout ce combat en valait la peine.
Paul a été opéré à trois jours de vie. J’ai veillé sur lui nuit et jour, priant chaque minute. Julien est venu une fois, furtivement, n’osant pas me regarder. Monique n’a jamais mis les pieds à l’hôpital.
Aujourd’hui, Paul a six mois. Il sourit, il gazouille, il serre mon doigt dans sa petite main. Il est fragile, mais il est vivant. Julien a demandé le divorce. Je suis fatiguée, parfois en colère, mais je suis fière. Fière d’avoir choisi l’amour, fière d’avoir tenu bon.
Parfois, je me demande : pourquoi tant de gens ont-ils peur de la différence ? Pourquoi est-ce toujours aux femmes de porter le poids du choix ? Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ?