Une semaine chez ma fille : plus qu’une simple garde d’enfant

« Maman, tu peux venir t’occuper de Léo pendant une semaine ? J’ai mes partiels et je ne sais plus comment faire… »

La voix d’Élodie tremblait au téléphone. J’ai senti, dès la première seconde, que ce n’était pas seulement la fatigue des révisions qui la rongeait. Mais j’ai accepté sans poser de questions. Mes amies du club de lecture m’avaient encore prévenue : « Tu t’en mêles trop, Claire. Laisse-la gérer sa vie d’adulte ! » Mais comment refuser à sa fille unique, surtout quand on sent qu’elle est au bord du gouffre ?

Le lundi matin, j’ai pris le TER de 7h12 depuis Tours, mon sac bourré de vêtements et de madeleines maison pour Léo. En arrivant devant l’immeuble d’Élodie à Nantes, j’ai hésité avant de sonner. J’ai entendu des cris étouffés derrière la porte. Mon cœur s’est serré.

— Léo ! Arrête ! Je t’en supplie…

La porte s’est ouverte brusquement. Élodie avait les yeux rougis, les cheveux en bataille. Léo, trois ans, hurlait dans le couloir, une chaussure à la main.

— Maman… Merci d’être venue.

Elle m’a prise dans ses bras comme quand elle avait huit ans et qu’elle tombait de vélo. J’ai serré fort, retenant mes larmes.

Les premiers jours ont été un tourbillon : préparer le petit-déjeuner, courir après Léo pour l’habiller, calmer ses colères, consoler Élodie qui s’effondrait sur ses cours de droit. Je me suis sentie utile, indispensable même. Mais très vite, j’ai compris que quelque chose clochait.

Le soir, après avoir couché Léo, Élodie restait prostrée sur le canapé, les yeux dans le vide. Je lui préparais une tisane, tentais une conversation.

— Tu veux en parler ?

Elle secouait la tête. « Je suis juste fatiguée. »

Mais la fatigue ne fait pas pleurer en silence dans la salle de bain à minuit. La fatigue ne fait pas trembler les mains quand on verse du lait dans un bol.

Un soir, alors que je rangeais la cuisine, j’ai entendu un sanglot étouffé. Je me suis approchée doucement.

— Élodie… Qu’est-ce qui se passe ?

Elle a craqué.

— Je n’y arrive plus, maman ! Je suis nulle ! Je ne dors pas, je rate tout… Léo me rejette, il ne veut que son père…

Je me suis assise à côté d’elle. J’ai caressé ses cheveux comme autrefois.

— Tu fais ce que tu peux. Tu es une bonne mère.

Elle a secoué la tête violemment.

— Non ! Depuis que Thomas est parti… Je me sens vide. Il ne répond même plus à mes messages. Léo réclame son papa tous les soirs… Et moi je dois tout gérer seule !

J’ai senti une colère sourde monter en moi contre ce Thomas qui avait fui ses responsabilités. Mais aussi une pointe de culpabilité : avais-je été trop présente ou pas assez ?

Le lendemain matin, Léo a fait une crise monumentale parce qu’il ne voulait pas aller à la crèche. Élodie s’est effondrée sur le palier. J’ai pris Léo dans mes bras.

— Tu sais quoi ? Aujourd’hui, mamie va rester avec toi. On va faire des crêpes et construire un château fort !

Son visage s’est illuminé. J’ai vu Élodie sourire faiblement avant de partir à la fac.

Cette journée avec Léo m’a rappelé mes années de jeune maman : l’épuisement, la peur de mal faire, l’impression d’être seule contre le monde entier. Le soir venu, j’ai préparé un dîner simple et allumé quelques bougies.

— On mange ensemble ce soir, tous les trois ?

Élodie a accepté sans protester. Pendant le repas, Léo a raconté sa journée avec enthousiasme. J’ai vu ma fille se détendre peu à peu.

Après avoir couché Léo, nous sommes restées longtemps à parler.

— Tu sais, maman… Parfois j’ai envie de tout plaquer. De partir loin avec Léo et d’oublier cette vie qui me fait peur.

Je l’ai regardée droit dans les yeux.

— Tu n’es pas seule, Élodie. Même si tu crois que tu dois tout porter sur tes épaules… Tu as le droit de demander de l’aide.

Elle a fondu en larmes dans mes bras.

Les jours suivants ont été plus doux. J’ai proposé à Élodie d’aller voir une psychologue du campus. Elle a accepté timidement. J’ai aussi appelé son père — mon ex-mari — pour qu’il vienne voir Léo le week-end suivant. Il a accepté sans hésiter.

Le dernier soir avant mon départ, Élodie m’a serrée très fort.

— Merci maman… Sans toi je crois que je me serais effondrée pour de bon.

Dans le train du retour, je me suis demandé : ai-je trop aidé ma fille ? Ou pas assez ? Est-ce qu’on peut vraiment apprendre à nos enfants à demander de l’aide sans se sentir faibles ?

Et vous… Jusqu’où iriez-vous pour soutenir vos enfants adultes ? Est-ce qu’on doit parfois s’effacer pour les laisser grandir ou rester présents coûte que coûte ?