« Un mois pour partir » – Mon combat entre traditions familiales et rêves personnels
« Tu as un mois pour quitter mon appartement ! »
La voix de Françoise résonne encore dans ma tête, sèche, tranchante comme une lame. Je me souviens de ce matin d’octobre, la lumière grise filtrant à travers les rideaux du salon, l’odeur du café brûlé et des croissants froids. J’étais debout, figée, une tasse à la main, incapable de répondre. Julien, mon mari, n’a rien dit. Il a baissé les yeux, triturant nerveusement son alliance. J’ai senti mon cœur se serrer, une boule d’angoisse monter dans ma gorge.
Je m’appelle Claire. J’ai 32 ans et je croyais avoir trouvé ma place dans cette famille parisienne bourgeoise. Après trois ans de mariage avec Julien, je pensais que les choses finiraient par s’apaiser entre sa mère et moi. Mais ce matin-là, tout a volé en éclats.
Françoise n’a jamais accepté que je sois différente. Je viens de Lyon, d’une famille modeste. J’ai fait des études de lettres, je rêve d’écrire un roman. Elle aurait préféré une belle-fille avocate ou médecin, quelqu’un qui « assure l’avenir » de son fils unique. Depuis notre emménagement dans son grand appartement du 16ème arrondissement – temporaire, disait-elle – je sens son regard peser sur chacun de mes gestes.
« Claire, tu comprends bien que tu ne peux pas rester ici indéfiniment… »
Sa voix me poursuit jusque dans ma chambre. Je m’assois sur le lit, les larmes aux yeux. Julien entre, s’assied à côté de moi sans un mot. Je voudrais qu’il me prenne dans ses bras, qu’il me dise qu’on va partir ensemble, qu’on va trouver notre propre chez-nous. Mais il reste silencieux.
— Tu ne dis rien ?
— C’est compliqué… Tu sais comment est maman…
Je sens la colère monter. Pourquoi doit-il toujours se ranger du côté de sa mère ? Pourquoi suis-je la seule à devoir faire des efforts ?
Les jours passent. Françoise m’ignore ou me lance des piques à peine voilées :
— Tu as encore passé la journée à écrire ? Tu devrais chercher un vrai travail…
— Tu sais, dans notre famille, on a toujours travaillé dur pour réussir.
Je serre les dents. J’envoie des CV, je passe des entretiens dans des maisons d’édition qui me regardent comme une rêveuse naïve. Le soir, j’écris en cachette dans un carnet que je planque sous mon oreiller.
Un soir, alors que je rentre d’un entretien raté, j’entends Françoise parler à Julien dans la cuisine :
— Elle n’est pas faite pour toi. Elle te tire vers le bas.
— Maman…
— Tu mérites mieux. Une femme qui te soutient vraiment.
Je retiens un sanglot et m’enferme dans la salle de bains. Mon reflet me renvoie l’image d’une femme fatiguée, les yeux rougis par les larmes et le manque de sommeil.
Le lendemain matin, je décide d’appeler ma mère à Lyon.
— Maman, je crois que je ne peux plus rester ici.
— Ma chérie… Tu sais que tu peux toujours revenir à la maison.
Mais revenir serait un échec. Je veux prouver que je peux réussir à Paris, que je peux être indépendante.
Je commence à chercher des colocations sur Internet. Les loyers sont exorbitants. Je visite des studios minuscules à Belleville et Montreuil. Chaque soir, je rentre épuisée, le cœur lourd.
Julien s’éloigne de plus en plus. Il rentre tard du travail, évite mes questions.
— On pourrait chercher un appartement ensemble ?
— Ce n’est pas le bon moment…
Un soir, après une dispute particulièrement violente avec Françoise – elle m’a reproché d’avoir laissé traîner mes livres sur la table du salon – je claque la porte et descends marcher sur les quais de Seine. Le vent froid me fouette le visage. Je pense à tout ce que j’ai sacrifié pour cette vie : mes amis à Lyon, mes rêves d’écriture, ma liberté.
Je me demande si l’amour suffit face aux traditions familiales aussi lourdes que celles des familles françaises où l’apparence compte plus que le bonheur réel.
Une semaine avant la date fatidique, je trouve enfin une chambre chez une vieille dame à Montreuil. C’est petit mais lumineux. Je fais mes valises en silence. Julien ne m’aide pas. Il regarde par la fenêtre pendant que je ferme ma dernière boîte.
— Tu pars vraiment ?
— Tu ne me demandes même pas de rester…
Il ne répond pas.
Je descends l’escalier avec mes valises. Françoise me regarde sans un mot. Je croise son regard : il n’y a ni haine ni tristesse, juste une froideur résignée.
Dans le métro vers Montreuil, je sens un poids s’envoler de mes épaules. Pour la première fois depuis longtemps, je respire vraiment.
Le soir même, j’ouvre mon carnet et j’écris : « Un mois pour partir… mais toute une vie pour me retrouver. »
Est-ce que j’ai eu tort de choisir ma liberté au lieu de plaire à ma belle-famille ? Est-ce qu’on peut vraiment être heureux sans trahir qui l’on est ? Qu’en pensez-vous ?