« Tu récoltes ce que tu as semé » : Le jour où ma belle-fille m’a appelée en pleurant

— Maman, je n’en peux plus…

La voix de Camille tremblait au téléphone, et j’ai tout de suite compris que ce n’était pas une de ces petites plaintes du quotidien. Il y avait quelque chose de cassé dans son ton, une fatigue profonde, presque une détresse. J’ai posé ma tasse de café sur la table de la cuisine, le cœur serré.

— Qu’est-ce qui se passe, Camille ?

Un silence. Puis elle a éclaté :

— Paul ne fait plus rien à la maison ! Il rentre, il pose ses affaires, il s’affale devant la télé… Je fais tout : les lessives, les repas, les devoirs de Léo… Je suis épuisée !

J’ai fermé les yeux. Paul, mon fils. Mon unique enfant. Je l’avais vu grandir, je l’avais vu devenir cet homme charmant mais parfois si… passif. Et Camille, je l’avais observée dès le début de leur histoire : toujours à anticiper ses besoins, à lui préparer son café, à ramasser derrière lui sans jamais rien demander. Je me souviens encore de ce dimanche où ils étaient venus déjeuner chez moi. Paul avait laissé son assiette sur la table et Camille s’était précipitée pour la débarrasser.

Je m’étais permis une remarque discrète :

— Tu sais, Paul peut aussi débarrasser son assiette…

Camille avait souri, gênée :

— Oh mais ça va, il travaille beaucoup, il est fatigué.

J’avais haussé les épaules. J’aurais dû insister ? Peut-être. Mais je connaissais mon fils. Il avait grandi dans une maison où son père ne levait jamais le petit doigt. Mon ex-mari, Bernard, était un homme autoritaire et distant. Il attendait que tout soit fait pour lui. J’avais passé vingt ans à tout gérer seule avant d’avoir le courage de partir.

Aujourd’hui encore, Bernard vit avec sa nouvelle femme et, d’après ce que j’entends, rien n’a changé. Il ne fait rien à la maison et elle s’en plaint souvent à moi lors des rares repas de famille.

Mais revenons à Camille. Je sentais sa détresse.

— Tu lui en as parlé ?

— Oui ! Plusieurs fois ! Mais il me répond qu’il est crevé, qu’il a besoin de souffler… Et puis il me dit que je fais ça mieux que lui, alors pourquoi il s’en mêlerait ?

J’ai soupiré. C’était exactement ce que Bernard me disait autrefois.

— Camille… Je t’avais prévenue, tu te souviens ? Je t’avais dit de ne pas tout faire à sa place dès le début…

Elle a éclaté en sanglots.

— Je sais… Je voulais juste qu’il soit heureux. Je pensais qu’il finirait par m’aider naturellement…

J’ai ressenti une vague de compassion mêlée d’impuissance. Comment lui expliquer que les habitudes se prennent vite et qu’il est difficile de revenir en arrière ?

— Tu sais, ma chérie, on ne change pas quelqu’un du jour au lendemain. Mais tu peux changer ta façon de faire. Arrête de tout faire pour lui. Laisse traîner ses affaires. Ne prépare pas son café demain matin. Peut-être qu’il comprendra…

Elle a reniflé.

— Tu crois vraiment ?

— Je ne te promets rien… Mais il faut qu’il réalise ce que tu fais pour lui.

J’ai raccroché après l’avoir rassurée du mieux que je pouvais. Mais toute la journée, j’ai ressassé cette conversation. J’ai repensé à toutes ces femmes autour de moi : ma sœur qui se plaint que son mari ne fait rien à la maison ; ma voisine qui élève seule ses trois enfants parce que son compagnon « travaille trop » ; même ma propre mère qui n’a jamais osé demander à mon père de mettre la table.

Pourquoi est-ce toujours aux femmes de porter ce poids invisible ? Pourquoi tant d’hommes en France pensent-ils encore que le ménage et les enfants sont « naturels » pour nous ?

Le soir même, Paul m’a appelée.

— Dis donc, maman, t’as parlé à Camille aujourd’hui ? Elle fait la tête depuis ce matin…

J’ai hésité un instant avant de répondre.

— Oui, elle m’a appelée. Elle est fatiguée, Paul. Tu pourrais l’aider un peu plus à la maison.

Il a soufflé bruyamment.

— Oh mais maman… Je bosse toute la journée ! Et puis elle adore s’occuper de tout ça…

J’ai senti la colère monter.

— Non Paul ! Elle n’adore pas ça ! Elle le fait parce qu’elle pense que c’est normal et parce qu’elle t’aime ! Mais aimer quelqu’un, ce n’est pas le servir comme un roi !

Il s’est tu un instant.

— Tu crois vraiment qu’elle en souffre ?

— Oui. Et si tu continues comme ça, tu risques de la perdre.

Un silence lourd a suivi. J’ai raccroché en me demandant si mes mots avaient eu un impact.

Les semaines ont passé. Camille a commencé à moins en faire. Elle a laissé traîner les chaussettes sales de Paul dans le salon. Elle n’a pas préparé le dîner deux soirs de suite. Paul s’est énervé au début, puis il a fini par comprendre qu’il devait mettre la main à la pâte s’il voulait retrouver un peu d’harmonie à la maison.

Un dimanche midi, ils sont venus déjeuner avec Léo. J’ai vu Paul débarrasser la table sans qu’on lui demande quoi que ce soit. Camille m’a lancé un regard complice et soulagé.

Mais au fond de moi, je reste inquiète. Combien de femmes doivent encore passer par là avant que les choses changent vraiment ? Est-ce que j’aurais pu faire autrement avec mon propre fils ? Est-ce que c’est trop tard pour changer les mentalités ?

Parfois je me demande : est-ce qu’on récolte vraiment ce qu’on sème ou bien sommes-nous condamnées à répéter les mêmes erreurs génération après génération ? Qu’en pensez-vous ?