Trahison sous le même toit : Comment ma mère a volé mon héritage

« Tu n’as rien compris, Bastien ! Ce n’est pas ton argent, c’est le nôtre ! »

La voix de ma mère résonne encore dans la cuisine, tranchante comme un couteau. Je serre la lettre du notaire entre mes doigts, le papier froissé par la colère. J’ai vingt-sept ans, et je viens d’apprendre que l’héritage de mon père – deux cent mille euros, censés m’aider à démarrer dans la vie – a disparu. Volatilisé. Et c’est elle, ma propre mère, qui l’a pris.

Tout a commencé il y a six mois, quand papa est parti d’un cancer fulgurant. Je me souviens de ses derniers mots : « Prends soin de ta mère, Bastien. » Je m’étais juré de ne jamais la laisser tomber. Mais aujourd’hui, c’est elle qui m’a laissé tomber.

Après l’enterrement, la maison familiale à Tours est devenue silencieuse, presque hostile. Maman s’enfermait dans sa chambre, ne parlait plus beaucoup. Je croyais que c’était le deuil. Mais il y avait autre chose. Des factures impayées s’accumulaient sur la table du salon, des lettres de la banque que je n’osais pas ouvrir. Jusqu’au jour où j’ai reçu un appel du notaire, Maître Lefèvre.

« Bastien, il faudrait que vous passiez au cabinet. Il y a un problème avec la succession. »

Le cœur battant, je me suis rendu chez lui. Il m’a expliqué que le compte sur lequel devait être versé mon héritage avait été vidé en quelques semaines. Des virements réguliers vers un compte au nom de ma mère. J’ai cru à une erreur. Je suis rentré chez nous en courant.

— Maman, tu peux m’expliquer ce qui se passe avec l’héritage ?

Elle a détourné les yeux, puis s’est levée brusquement.

— Tu ne comprends pas ! J’avais besoin de cet argent !

— Mais c’était pour moi ! Papa voulait que je puisse acheter un appartement, commencer ma vie…

Elle a haussé les épaules, les yeux brillants de larmes.

— Et moi ? Tu crois que c’est facile d’être veuve ? Tu crois que je peux vivre avec une pension ridicule ?

J’ai senti la colère monter en moi.

— Tu aurais pu m’en parler… On aurait trouvé une solution ensemble !

Elle s’est effondrée sur une chaise.

— J’ai honte, Bastien… Mais je ne savais plus quoi faire. J’ai tout dépensé… pour rembourser les dettes de ton père, pour la maison… et un peu pour moi aussi.

Le silence est tombé. J’avais envie de hurler, de tout casser. Mais je me suis contenté de sortir dans le jardin, là où papa plantait ses rosiers.

Les semaines suivantes ont été un enfer. Je ne parlais plus à ma mère. Elle essayait de se justifier, de me préparer des petits plats comme quand j’étais enfant. Mais rien n’y faisait : la confiance était brisée.

J’ai dû renoncer à mon projet d’acheter un studio à Nantes. J’ai continué à vivre chez elle, par manque de moyens, prisonnier d’une situation absurde. Les amis me demandaient pourquoi je n’avançais pas dans la vie ; je leur mentais, honteux.

Un soir, alors que je rentrais du travail au supermarché du coin, j’ai surpris une conversation entre ma mère et ma tante Sylvie.

— Tu aurais dû lui dire la vérité dès le début…

— Je n’ai pas eu le courage… Il me regarde comme si j’étais un monstre.

J’ai claqué la porte en entrant. Ma mère a sursauté.

— Bastien…

— Tu m’as volé ! Tu comprends ça ? Tu m’as volé !

Elle a éclaté en sanglots. Ma tante a tenté d’intervenir :

— Bastien, ta mère était désespérée…

— Ce n’est pas une excuse !

J’ai passé la nuit dehors, à marcher dans les rues vides de Tours. J’ai pensé à porter plainte, à couper les ponts définitivement. Mais chaque fois que je voyais le visage fatigué de ma mère, je me rappelais les mots de papa : « Prends soin d’elle… »

Les mois ont passé. J’ai fini par consulter un avocat. Il m’a expliqué que légalement, je pouvais réclamer mon dû – mais cela signifierait traîner ma propre mère devant les tribunaux. Je n’en ai pas eu la force.

Aujourd’hui encore, je vis avec ce poids sur le cœur. Ma mère et moi partageons le même toit mais plus vraiment la même vie. Parfois, elle me regarde avec une tristesse infinie ; parfois je sens monter en moi une rancœur que je ne sais pas apaiser.

Je me demande souvent : qu’auriez-vous fait à ma place ? Peut-on vraiment pardonner une telle trahison ? Ou bien certaines blessures ne guérissent-elles jamais ?