Sous ma peau : le combat de Camille pour s’accepter telle qu’elle est

— Tu ne comptes pas sortir comme ça, Camille ?

La voix de ma mère résonne dans le couloir, tranchante comme une lame. Je baisse les yeux sur mes jambes nues, couvertes d’un duvet brun que je n’ai plus cherché à cacher depuis des semaines. Mon cœur bat la chamade. Je sens le regard de mon père, silencieux derrière son journal, peser sur moi. Il ne dit rien, mais son silence en dit long.

Je prends une inspiration. « Si, maman. Je vais juste au marché. »

Elle soupire, lève les yeux au ciel. « Tu sais ce que vont dire les voisins ? On n’a jamais vu ça dans la famille. »

Je serre les poings. Depuis que j’ai arrêté de m’épiler, chaque sortie est un combat. J’habite à Angers, dans un quartier où tout le monde se connaît et où la moindre différence se remarque. J’ai trente ans, un âge où l’on attend de moi que je sois “présentable”, “féminine”, “soignée”. Mais je n’en peux plus de cette mascarade.

Tout a commencé il y a six mois. J’étais assise dans la salle d’attente du dermatologue, les jambes en feu après une énième séance d’épilation à la cire. Le médecin m’a regardée avec compassion :

— Vous souffrez d’hirsutisme, Camille. Ce n’est pas votre faute. Arrêtez de vous faire du mal.

Ce mot — hirsutisme — a résonné en moi comme une délivrance et une condamnation à la fois. Toute ma vie, j’avais cru que mes poils étaient une honte, un défaut à cacher. Mais ce jour-là, j’ai décidé d’arrêter la guerre contre mon propre corps.

Le lendemain, j’ai rangé rasoirs et bandes de cire au fond d’un tiroir. Au début, c’était libérateur. Je me sentais légère, presque invincible. Mais très vite, le regard des autres m’a rattrapée.

Au travail, mes collègues chuchotaient dans mon dos. Un jour, lors d’une réunion, Sophie a lancé à voix basse :

— Tu sais qu’il existe des instituts pour ça ?

J’ai rougi jusqu’aux oreilles. J’aurais voulu disparaître sous la table.

À la maison, c’était pire encore. Ma sœur Élodie, toujours impeccable, m’a prise à part :

— Tu fais exprès de nous embarrasser ? Maman pleure tous les soirs à cause de toi.

J’ai éclaté :

— Ce sont MES jambes ! MES bras ! Pourquoi devrais-je souffrir pour correspondre à une norme qui ne me ressemble pas ?

Elle a haussé les épaules :

— Parce que c’est comme ça qu’on fait ici.

Mais moi, je ne voulais plus « faire comme ça ».

Les semaines ont passé. J’ai commencé à poster des photos de moi sur Instagram, fière de mes poils. Les messages ont afflué : certains m’insultaient (« Sale ! », « Féministe hystérique ! »), d’autres me remerciaient (« Grâce à toi, j’ose enfin sortir sans me cacher »). J’ai découvert une communauté de femmes qui vivaient la même chose que moi.

Un soir, alors que je rentrais du travail, mon père m’attendait dans le salon.

— Camille… Tu sais que ta mère et moi t’aimons. Mais tu nous mets dans une position difficile. Les gens parlent…

Je l’ai regardé droit dans les yeux :

— Et moi ? Qui pense à ce que je ressens ? J’ai passé vingt ans à me haïr parce que j’étais différente. Aujourd’hui, je veux juste être en paix avec moi-même.

Il a baissé la tête. Pour la première fois, j’ai vu une lueur de compréhension dans ses yeux.

Les mois suivants ont été un mélange d’espoir et de douleur. Certains amis se sont éloignés ; d’autres m’ont soutenue corps et âme. J’ai appris à répondre aux regards insistants dans la rue par un sourire fier. J’ai aussi découvert des alliées inattendues : ma grand-mère Jeanne, qui m’a confié en riant qu’à son époque, personne ne s’épilait.

— On disait que c’était un truc de Parisiennes !

Nous avons ri ensemble, complices malgré les générations qui nous séparent.

Mais le chemin vers l’acceptation n’est pas linéaire. Parfois, je doute encore. Je me regarde dans le miroir et je me demande si je suis courageuse… ou simplement folle.

Un matin d’été, alors que je marchais sur les bords de la Maine en short et débardeur, une petite fille m’a regardée avec curiosité.

— Maman, pourquoi la dame a des poils comme papa ?

Sa mère a rougi :

— Chut ! Ce n’est pas poli…

Je me suis penchée vers la fillette :

— Parce que chacun fait ce qu’il veut avec son corps. Et toi aussi, tu pourras choisir plus tard.

Elle m’a souri timidement. Ce sourire valait toutes les insultes du monde.

Aujourd’hui encore, chaque jour est un défi. Mais je ne regrette rien. J’ai appris à aimer mes différences et à défendre mon droit d’exister telle que je suis.

Parfois je me demande : pourquoi tant de haine pour quelques poils ? Pourquoi notre société refuse-t-elle d’accepter ce qui sort du cadre ? Et vous… seriez-vous prêt·e·s à affronter le regard des autres pour être enfin vous-même ?