Sous ma peau : le combat d’Amandine pour s’accepter telle qu’elle est
— Tu ne vas quand même pas sortir comme ça, Amandine ?
La voix de ma mère résonne encore dans le couloir de notre appartement du 11e arrondissement. Je suis debout devant le miroir, une robe légère sur les épaules, mes jambes nues, et mes poils bruns bien visibles. Je sens son regard glisser sur moi, mélange de dégoût et d’inquiétude. Je serre les poings. J’ai trente ans, mais à cet instant, je redeviens la petite fille qui voulait juste qu’on la laisse tranquille.
— Maman, c’est mon corps. Je fais ce que je veux, non ?
Elle soupire, lève les yeux au ciel. Mon père, assis à la table du salon, fait semblant de lire Le Monde mais je vois bien qu’il écoute. Depuis que j’ai arrêté de m’épiler il y a six mois, chaque repas de famille vire au tribunal. Ma mère me répète que « ce n’est pas féminin », que « ça ne se fait pas en France », que « tu vas finir seule si tu continues ».
Mais moi, je n’en peux plus. J’ai passé quinze ans à me torturer la peau à la cire, à cacher mes bras sous des manches longues même en juillet, à éviter la piscine pour ne pas qu’on voie mes poils sous les aisselles. Tout ça parce qu’à douze ans, dans les vestiaires du collège Voltaire, Camille et Julie avaient éclaté de rire en voyant mes jambes :
— On dirait un garçon !
Ce jour-là, j’ai pleuré dans les toilettes. J’ai supplié ma mère de m’acheter un rasoir. Depuis, j’ai vécu avec la honte collée à la peau.
Mais l’an dernier, après une rupture douloureuse avec Thomas — il m’avait quittée parce que « tu fais trop d’histoires pour rien » — j’ai décidé d’arrêter de me battre contre moi-même. J’ai une pilosité abondante à cause d’un syndrome des ovaires polykystiques. Les médecins m’ont dit que c’était à vie. Alors pourquoi continuer à souffrir ?
Au début, c’était l’enfer. Dans le métro, les gens me dévisageaient. Une vieille dame m’a même lancé :
— Vous n’avez pas honte ?
J’ai baissé les yeux. Mais un jour, mon petit frère Paul m’a prise dans ses bras :
— T’es belle comme ça, Mandine. T’es courageuse.
Ça m’a donné de la force. J’ai commencé à poster des photos sur Instagram. Au début, j’ai reçu des insultes :
— Sale féministe !
— Tu fais peur !
— Va te raser !
Mais il y avait aussi des messages d’autres femmes :
— Merci de montrer qu’on peut être soi-même.
— Grâce à toi, j’ose sortir sans me cacher.
Petit à petit, j’ai appris à aimer mon reflet. Mais à la maison, c’était toujours la guerre. Un soir, alors que je rentrais d’un pique-nique au parc des Buttes-Chaumont avec des amis, ma mère m’attendait dans la cuisine.
— Tu veux vraiment finir seule ? Tu crois qu’un homme va t’aimer comme ça ?
J’ai explosé :
— Et toi maman ? Tu t’es déjà demandé si tu t’aimais vraiment ? Ou si tu faisais tout ça juste pour plaire aux autres ?
Elle a pleuré. Moi aussi. On s’est serrées fort. Ce soir-là, elle n’a rien dit sur mes jambes.
Au travail aussi, ce n’est pas simple. Je suis professeure des écoles dans le 20e arrondissement. Un matin, une collègue m’a prise à part :
— Tu sais Amandine… Les parents parlent beaucoup… Ils trouvent ça bizarre…
J’ai eu peur pour mon poste. Mais la directrice m’a soutenue :
— Ce qui compte ici, c’est ton travail avec les enfants.
Dans ma classe, les élèves sont curieux :
— Maîtresse, pourquoi t’as des poils ?
Je leur explique simplement :
— Parce que chacun est différent et que c’est beau aussi.
Un jour, une petite fille est venue me voir après la récréation :
— Ma maman dit que t’es courageuse.
J’ai souri. J’avais envie de pleurer.
Aujourd’hui encore, chaque matin devant le miroir est un combat. Il y a des jours où je voudrais tout raser pour avoir la paix. Mais je repense à Paul, à cette petite fille dans ma classe, aux messages reçus sur Instagram.
Je ne suis pas parfaite. Parfois je doute. Mais je sais que je ne veux plus me cacher.
Est-ce que c’est si grave d’être soi-même ? Est-ce qu’on doit vraiment souffrir pour être acceptée ? Qu’en pensez-vous ?