Seule avec mon enfant : le retour à la maison qui a tout bouleversé
« Tu rentres déjà ? » La voix d’Antoine résonne dans l’entrée, sèche, presque agacée. Je serre un peu plus fort le cosy où dort Paul, notre fils de trois jours. Je m’attendais à des bras ouverts, à un sourire, à cette chaleur dont on parle dans les livres. Mais il n’y a rien. Juste le silence et l’odeur froide d’un appartement resté vide trop longtemps.
Je pose Paul sur le canapé, faute de mieux. Il n’y a pas de berceau, pas de table à langer, même pas un body propre. Je regarde autour de moi, le cœur battant : tout ce que j’avais demandé à Antoine d’installer pendant mon séjour à la maternité est resté dans les cartons. Je sens la colère monter, mais aussi une immense tristesse. « Tu n’as rien préparé ? » Ma voix tremble. Antoine hausse les épaules sans me regarder : « J’ai eu des réunions toute la semaine. Tu sais bien que c’est compliqué en ce moment au cabinet. »
Je voudrais crier, pleurer, mais Paul gémit doucement. Je m’accroupis pour le rassurer, les larmes aux yeux. Je me sens seule, terriblement seule. Ma mère habite à Bordeaux, ma sœur est en voyage en Australie. Mes amies ? Elles travaillent ou élèvent déjà leurs propres enfants. Je me retrouve face à ce vide immense, dans cet appartement lyonnais où chaque bruit résonne comme un reproche.
Les jours suivants sont un enchaînement de nuits blanches et de journées sans fin. Antoine part tôt, rentre tard, s’enferme dans son bureau pour « avancer sur ses dossiers ». Parfois il passe une tête dans la chambre : « Il pleure encore ? » Ou bien : « Tu pourrais essayer de sortir un peu, non ? » Mais sortir où ? Avec qui ? Je n’ai même pas trouvé le courage d’aller acheter des couches.
Un soir, alors que Paul hurle depuis une heure et que je suis au bord de l’épuisement, je craque. Je descends chez la voisine du dessous, Madame Lefèvre, une retraitée que je connais à peine. Elle m’ouvre en peignoir, surprise par mes yeux rougis et mon bébé hurlant dans les bras. Sans un mot, elle m’attire dans sa cuisine et me prépare un thé. « Tu sais, ma fille a eu deux enfants toute seule… Ce n’est pas facile, mais tu vas y arriver. »
Cette nuit-là, je dors sur son canapé pendant qu’elle berce Paul. Au petit matin, elle me tend un sac rempli de vêtements pour bébé et quelques couches. Je la remercie en pleurant. C’est la première fois depuis des jours que je me sens comprise.
Mais à la maison, rien ne change. Antoine s’éloigne chaque jour un peu plus. Un soir, alors que je tente une énième discussion, il explose : « Tu crois que c’est facile pour moi ? J’ai tout sur les épaules ! Tu ne travailles même pas ! » Je reste sans voix. Comment lui expliquer que je donnerais tout pour échanger ma fatigue contre ses réunions ? Que je me sens invisible ?
Je commence à écrire dans un carnet, chaque soir après avoir couché Paul. J’y note mes peurs : celle de ne pas être une bonne mère, celle d’être abandonnée pour de bon. J’y note aussi mes petites victoires : une promenade au parc de la Tête d’Or où Paul s’est endormi paisiblement ; un sourire échangé avec une autre maman au supermarché.
Un matin d’avril, alors que Paul a presque deux mois, je décide d’appeler une sage-femme libérale recommandée par Madame Lefèvre. Elle s’appelle Claire et vient chaque semaine à la maison. Elle m’écoute sans juger, m’aide à organiser mes journées et surtout me rappelle que je ne suis pas folle d’être triste ou en colère.
Petit à petit, je reprends pied. J’ose demander de l’aide à ma mère qui finit par venir passer quelques jours avec nous. Elle s’occupe de Paul pendant que je dors enfin quelques heures d’affilée. Antoine reste distant mais il sent que quelque chose change : je ne pleure plus devant lui, je ne supplie plus pour qu’il m’aide.
Un soir, alors qu’il rentre plus tôt que d’habitude, il me trouve en train de rire avec Paul sur le tapis du salon. Il s’arrête sur le seuil et me regarde longuement. « Tu as l’air… différente », murmure-t-il. Je hausse les épaules : « Peut-être parce que j’ai compris que je devais compter sur moi-même. » Il ne répond rien.
Les semaines passent et notre couple ne se répare pas vraiment. Mais moi, je deviens plus forte chaque jour. J’apprends à aimer cette nouvelle vie cabossée, imparfaite mais vraie.
Aujourd’hui encore, parfois la solitude me serre le cœur quand je regarde Paul dormir dans son lit enfin monté. Mais je sais maintenant que je peux traverser l’orage.
Est-ce qu’on peut vraiment être mère sans jamais se sentir seule ? Est-ce qu’on peut aimer quelqu’un qui ne vous voit plus ?