Sans elle : Mon combat contre la culpabilité après la perte de ma mère
« Tu ne comprends jamais rien, Camille ! » La voix de ma mère résonne encore dans ma tête, tranchante comme un couteau. C’était il y a six mois, dans la cuisine de notre appartement à Lyon. Je venais de claquer la porte, furieuse, sans savoir que ce serait la dernière fois que je la verrais vivante.
Cette nuit-là, j’ai erré dans les rues du quartier Croix-Rousse, le cœur battant, les yeux embués de larmes. Je me répétais que j’avais raison, que maman exagérait toujours tout. Mais au fond, je savais que je l’avais blessée. Quand je suis rentrée à l’aube, l’appartement était silencieux. Trop silencieux. J’ai trouvé maman allongée sur le canapé, son visage paisible, presque souriant. Mais elle ne respirait plus.
Depuis ce jour, la culpabilité me ronge. Je revis sans cesse cette dispute stupide à propos de mon avenir. Elle voulait que je reprenne mes études de droit, que je sois « quelqu’un ». Moi, je rêvais d’ouvrir une petite librairie, de vivre autrement. « Tu gâches tout ce qu’on a construit », m’avait-elle lancé. Je lui avais répondu des mots durs, des mots qu’on ne devrait jamais dire à sa mère.
Les jours qui ont suivi sa mort ont été un cauchemar éveillé. Mon frère Julien m’a accusée : « Si tu n’avais pas crié, elle serait encore là ! » Ma tante Sophie a tenté de calmer le jeu, mais même elle n’a pas pu dissiper la tension. Les repas de famille sont devenus des champs de bataille silencieux. Chacun évite mon regard.
Je me suis enfermée dans la chambre de mon enfance, entourée des livres que maman m’offrait chaque Noël. Je relisais ses dédicaces : « Pour Camille, qui saura toujours trouver sa voie. » Mais quelle voie ? Sans elle, je suis perdue.
Un soir d’octobre, alors que la pluie frappait les vitres, j’ai retrouvé une lettre dans son tiroir à bijoux. Une lettre qu’elle ne m’avait jamais donnée. « Ma chère Camille, si un jour tu lis ces mots, c’est que je ne suis plus là pour te serrer dans mes bras. Sache que je t’aime telle que tu es, même si parfois j’ai peur pour toi. Pardonne-moi mes maladresses. »
J’ai éclaté en sanglots. Pourquoi n’ai-je pas su lui dire que je l’aimais ? Pourquoi ai-je laissé la colère prendre le dessus ?
Depuis, chaque matin est une lutte. Je croise des mères et leurs filles sur les quais du Rhône et la jalousie me serre le cœur. J’évite mes amis ; ils ne comprennent pas ce vide qui m’habite. Mon père s’est réfugié dans le silence, incapable d’affronter notre douleur commune.
Un jour, j’ai croisé Madame Lefèvre, notre voisine du troisième étage. Elle m’a prise dans ses bras sans un mot. « Ta mère était fière de toi », a-t-elle murmuré. J’ai fondu en larmes contre son épaule ridée.
Petit à petit, j’essaie d’apprivoiser l’absence. J’ai repris mon projet de librairie, en hommage à maman. Mais chaque fois que je franchis une étape, une voix intérieure me souffle : « Tu ne mérites pas d’être heureuse. »
Je me demande souvent : est-ce qu’on peut vraiment se pardonner ? Comment vivre avec le poids du regret ? Est-ce que d’autres ressentent cette même douleur sourde ?
Parfois, le soir, je parle à maman à voix basse :
— Tu me manques tellement…
Le silence me répond.
Et vous… Comment avez-vous fait pour avancer après avoir perdu quelqu’un qu’on aime ? Est-ce qu’on finit par se pardonner un jour ?