Quand tout bascule : Ma belle-mère veut que je vende ma maison
« Tu ne comprends donc pas, Lucie ? Il faut vendre la maison. »
La voix de ma belle-mère, Monique, résonne encore dans ma tête. Ce soir-là, la pluie battait contre les vitres du salon, et l’odeur du gratin dauphinois flottait encore dans l’air. Je me souviens de la façon dont elle s’est assise, droite, les mains croisées sur ses genoux, le regard dur. Mon mari, François, n’osait pas lever les yeux vers moi. J’ai senti la colère monter, mais aussi une tristesse immense. Comment en étions-nous arrivés là ?
Monique, c’était la belle-mère idéale. Toujours prête à m’aider, à garder les enfants, à raconter des anecdotes de son enfance à Clermont-Ferrand. Elle m’appelait « ma fille », et je l’appelais « maman » depuis la mort de la mienne. Mais depuis quelques mois, elle semblait ailleurs, préoccupée, souvent au téléphone avec sa fille aînée, Sophie, qui vit à Lyon. Je n’y ai pas prêté attention, pensant qu’il s’agissait de soucis de santé ou de solitude. Jusqu’à ce soir-là.
« Tu sais bien que je ne peux plus rester seule ici, et Sophie a une grande maison. Elle m’a proposé de venir vivre avec elle. Mais pour ça, il faut vendre la maison et partager l’argent. C’est normal, non ? »
Normal ? J’ai failli éclater de rire. Cette maison, c’était notre cocon. Nous l’avions achetée il y a dix ans, François et moi, avec nos économies, nos sacrifices. C’est ici que nos enfants ont fait leurs premiers pas, ici que nous avons fêté nos anniversaires, pleuré nos peines, ri à en avoir mal au ventre. Comment pouvait-elle nous demander ça ?
François, d’habitude si posé, a pris la parole d’une voix tremblante : « Maman, tu sais bien que ce n’est pas si simple. On ne peut pas tout quitter comme ça… »
Mais Monique n’a rien voulu entendre. Elle a parlé de sa solitude, de ses angoisses la nuit, de la peur de mourir seule dans cette ville où elle ne connaît plus personne. Elle a insisté sur le fait que Sophie avait tout prévu : une chambre pour elle, un médecin à proximité, même un club de bridge. Et puis, elle a ajouté, presque en chuchotant : « Tu sais bien que Sophie a toujours été la plus présente… »
Cette phrase m’a transpercée. J’ai senti une vieille jalousie remonter, celle que je croyais enterrée. Sophie, la fille parfaite, la préférée, celle qui réussit tout, qui habite dans une belle maison à Lyon et qui n’a jamais eu à se battre pour quoi que ce soit. Moi, je suis restée ici, à Limoges, à m’occuper de Monique quand elle était malade, à faire ses courses, à l’emmener chez le médecin. Et maintenant, elle voulait tout balayer d’un revers de main ?
Les jours suivants ont été un enfer. Monique a commencé à faire des cartons, à parler de la maison comme si elle était déjà vendue. Les enfants ne comprenaient pas pourquoi « mamie » était triste et pourquoi papa et maman se disputaient tout le temps. François s’est enfermé dans le silence, fuyant les discussions. J’ai essayé de parler à Sophie au téléphone, mais elle m’a répondu sèchement : « C’est la meilleure solution pour tout le monde. »
Mais pour qui, au juste ? Certainement pas pour moi. J’ai commencé à douter de tout : de mon mariage, de ma place dans cette famille, de mon rôle de belle-fille. Les voisins ont commencé à poser des questions. « Alors, vous partez ? » « On dit que la maison est à vendre… » Je me sentais trahie, humiliée.
Un soir, alors que je rangeais la vaisselle, Monique est venue me voir. Elle avait les yeux rouges. « Je ne veux pas te faire de mal, Lucie. Mais je ne peux plus vivre ici. Je me sens inutile. Sophie a besoin de moi… et j’ai besoin d’elle. »
J’ai explosé : « Et nous alors ? Tu crois qu’on n’a pas besoin de toi ? Tu crois que les enfants ne vont pas souffrir ? Tu crois que je peux tout recommencer ailleurs ? »
Elle a baissé la tête. « Je suis désolée… »
Cette nuit-là, j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. J’ai repensé à ma propre mère, à ce que j’aurais fait pour elle. Aurais-je été capable de tout quitter pour son bonheur ? Ou bien aurais-je défendu ma famille coûte que coûte ?
Finalement, François et moi avons décidé de ne pas vendre la maison. Monique est partie vivre chez Sophie à Lyon, sans un mot de plus. Depuis, elle ne m’appelle presque plus. Les enfants me demandent souvent quand mamie reviendra. Je n’ai pas de réponse.
Aujourd’hui, je me demande encore : ai-je fait le bon choix ? Aurais-je dû sacrifier notre foyer pour elle ? Ou bien est-ce à elle de comprendre que l’amour ne se mesure pas à la distance ni à l’argent ?
Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ? Est-ce égoïste de vouloir préserver sa famille, ou bien faut-il toujours tout donner pour ceux qu’on aime ?