Quand mon frère et sa femme ont envahi ma vie : l’histoire d’un départ imposé
« Tu pourrais faire un effort, Camille, c’est temporaire ! » La voix de ma mère résonne encore dans la petite cuisine, saturée d’odeurs de café froid et de tension. Je serre ma tasse si fort que mes jointures blanchissent. Julien, mon frère aîné, évite mon regard, assis à côté d’Élodie, sa femme, qui tapote nerveusement sur son téléphone. Depuis qu’ils ont débarqué avec leurs valises, il y a trois semaines, notre appartement de deux pièces à la Croix-Rousse est devenu un champ de bataille silencieux.
Je n’ai jamais eu ma chambre à moi. Depuis toujours, je partage le salon avec un vieux canapé-lit qui grince à chaque mouvement. Mais au moins, j’avais mes habitudes, mes repères. Julien, lui, avait quitté la maison depuis des années pour vivre avec Élodie à Grenoble. Mais voilà qu’ils sont revenus, sans prévenir, parce qu’ils « traversent une mauvaise passe ». Leur propriétaire les a mis dehors du jour au lendemain, paraît-il. Mais pourquoi est-ce à moi de payer les pots cassés ?
« Camille, tu pourrais aller chez Victoria quelques temps », propose mon père d’une voix lasse. Victoria, c’est ma cousine. Elle a son propre studio dans le 7ème arrondissement. Mais je ne veux pas m’imposer chez elle. Pourquoi devrais-je partir ? Je suis celle qui est restée pour aider nos parents vieillissants, celle qui fait les courses, qui accompagne maman à ses rendez-vous médicaux.
Je me lève brusquement, la chaise raclant le carrelage. « Et pourquoi ce ne serait pas Julien qui irait chez Victoria ? » Silence gênant. Élodie relève enfin la tête : « On a besoin d’intimité… Tu comprends ? »
Intimité ? Je ris jaune. Ils occupent la chambre principale, mes parents dorment dans la petite pièce qui servait de débarras, et moi… moi je n’ai plus de place nulle part. Même mes livres ont été relégués dans des cartons sous la table basse.
Les jours passent et la tension monte. Julien s’enferme dans la chambre avec Élodie toute la journée sous prétexte de chercher du travail en ligne. Maman soupire en silence en préparant des repas pour cinq alors que la table n’a que quatre chaises. Papa s’énerve pour un rien : « Ce n’est pas une auberge ici ! »
Un soir, alors que je rentre tard du travail – je suis caissière dans un supermarché du quartier – je trouve Élodie en train de fouiller dans mes affaires. « Je cherchais juste un chargeur », marmonne-t-elle sans s’excuser. Je sens la colère monter : « Tu pourrais demander avant ! »
La dispute éclate enfin. Julien surgit : « Arrête de faire ta victime ! On n’a pas choisi cette situation non plus ! »
Je fonds en larmes devant eux tous. « Mais pourquoi est-ce toujours moi qui dois m’effacer ? Pourquoi c’est toujours moi qui dois partir ? »
Ma mère tente de me prendre dans ses bras mais je recule. Je me sens trahie par tous. J’ai l’impression d’être invisible dans ma propre maison.
Le lendemain matin, je trouve un mot sur la table :
« Camille,
On sait que ce n’est pas facile pour toi non plus. On va essayer de trouver une solution rapidement.
Julien & Élodie »
Mais les jours passent et rien ne change. Je dors mal, je mange à peine. Au travail, mes collègues remarquent mes cernes et mon humeur sombre.
Un samedi matin, alors que je m’apprête à sortir prendre l’air, maman me retient par le bras : « Tu sais, on ne veut pas te mettre dehors… Mais tu es jeune, tu pourrais profiter d’avoir ton indépendance… »
Je la regarde, incrédule. « Mon indépendance ? Avec mon salaire de caissière ? Tu crois vraiment que je peux me payer un studio à Lyon ? »
Elle baisse les yeux. Je comprends qu’elle subit autant que moi cette situation. Mais ça ne change rien à l’injustice que je ressens.
Le soir même, j’appelle Victoria. Elle accepte de m’héberger « le temps que ça se tasse ». Je fais ma valise en silence, le cœur lourd.
Avant de partir, je croise Julien dans le couloir.
— Tu pars déjà ?
— J’ai pas vraiment le choix, non ?
Il détourne les yeux.
— Merci quand même…
Je claque la porte derrière moi.
Chez Victoria, tout est calme mais je n’arrive pas à me sentir chez moi. J’ai l’impression d’avoir été expulsée de ma propre vie.
Pourquoi est-ce toujours aux femmes de s’effacer pour préserver la paix familiale ? Pourquoi ceux qui restent sont-ils toujours ceux qu’on sacrifie ? Est-ce que vous aussi vous avez déjà eu ce sentiment d’injustice chez vous ?