Quand l’enfant de ma meilleure amie a failli briser notre amitié
« Mais enfin, Claire, tu ne peux pas la laisser jouer seule cinq minutes ? » La voix de Julien, mon mari, résonne dans le salon, tranchante comme un couteau. Je me fige, la tasse de café tremblant dans ma main. Léa, trois ans à peine, hurle parce que son dessin animé préféré ne passe pas sur notre télé. Claire, elle, s’empresse de consoler sa fille, ignorant le malaise qui s’installe. Je sens mes joues brûler de honte et de colère mêlées.
Tout a commencé il y a six mois. Claire, ma meilleure amie depuis le lycée à Nantes, venait d’accoucher de Léa. Au début, j’étais ravie de la voir si heureuse, même si nos conversations tournaient désormais autour des couches et des nuits blanches. Mais un mercredi après-midi, elle est arrivée chez moi, épuisée, demandant si elle pouvait « s’installer un moment ». J’ai dit oui, évidemment. C’est ce que font les amies, non ?
Sauf que ce « moment » s’est transformé en habitude. Chaque jour, Claire débarquait avec Léa. Au début, je trouvais ça attendrissant : la petite main potelée qui attrapait mes bibelots, les rires de Claire devant les premiers mots de sa fille. Mais très vite, la fatigue s’est installée. Léa voulait tout : mes livres, mes crayons, mon chat. Elle pleurait dès qu’on lui disait non. Claire ne disait jamais non.
Julien a commencé à froncer les sourcils. « On n’a plus d’intimité », m’a-t-il soufflé un soir. J’ai haussé les épaules. « C’est temporaire… Elle a besoin de moi. » Mais au fond, je sentais que quelque chose clochait. Je n’étais plus maîtresse chez moi. Mon appartement était devenu une aire de jeux géante.
Un jeudi matin, alors que je travaillais à distance dans la cuisine, Léa a renversé mon café sur mon ordinateur. Claire a ri nerveusement : « Oh, tu sais comment sont les enfants… » J’ai senti une boule se former dans ma gorge. Non, je ne savais pas. Je n’avais pas d’enfant. Je n’avais pas choisi cette vie-là.
Le soir même, Julien a explosé : « Tu te rends compte qu’on vit au rythme d’un enfant qui n’est même pas le nôtre ? Et Claire… Elle ne voit rien ! » J’ai voulu le défendre mais je n’ai rien trouvé à répondre.
Le lendemain, j’ai tenté d’en parler à Claire. Nous étions assises sur le canapé, Léa jouant à nos pieds.
— Tu ne trouves pas que tu viens un peu trop souvent ?
Claire m’a regardée comme si je venais de la gifler.
— Tu veux que je parte ?
— Non… Mais j’aimerais qu’on retrouve un peu notre équilibre.
Elle a serré Léa contre elle.
— Tu ne comprends pas… Je me sens seule chez moi. Paul travaille tout le temps. Ici, au moins, je me sens vivante.
J’ai eu envie de pleurer. Moi aussi je me sentais seule parfois. Mais je n’avais pas le droit de lui reprocher d’être mère, si ?
Les jours ont passé et la tension est montée d’un cran à chaque visite. Julien s’enfermait dans la chambre dès qu’il entendait la sonnette. Moi, je souriais mécaniquement à Claire tout en surveillant Léa du coin de l’œil.
Un samedi matin, alors que nous prenions le petit-déjeuner tous ensemble — chose rare — Claire est arrivée sans prévenir. Julien a posé sa tasse avec fracas.
— Tu ne peux pas appeler avant de venir ?
Claire a blêmi.
— Je… Je pensais que ça ne dérangeait pas.
Julien s’est levé brusquement.
— Si, ça dérange !
Le silence est tombé comme une chape de plomb. Léa s’est mise à pleurer. Claire a rassemblé ses affaires en vitesse et est partie sans un mot.
Je suis restée là, figée, la culpabilité me rongeant les entrailles. Avais-je laissé la situation dégénérer ? Avais-je été une mauvaise amie ?
Les jours suivants ont été un supplice. Plus de messages de Claire. Plus de visites impromptues. Mon appartement semblait soudain trop grand, trop vide.
Un soir, j’ai pris mon courage à deux mains et je l’ai appelée.
— Claire… Je suis désolée pour l’autre jour.
Sa voix était froide.
— Tu sais ce que ça fait d’être seule avec un enfant toute la journée ?
Je n’ai rien répondu. Non, je ne savais pas.
Petit à petit, nous avons recommencé à nous parler. Mais quelque chose s’était brisé. Nos discussions étaient superficielles ; la complicité avait disparu.
Aujourd’hui encore, je me demande : peut-on vraiment sauver une amitié quand l’enfant de l’autre devient le centre du monde ? Est-ce égoïste de vouloir préserver son espace et son couple ? Ou est-ce simplement humain ?
Et vous… Qu’auriez-vous fait à ma place ? Jusqu’où iriez-vous pour ne pas perdre une amie ?