Quand l’Égalité S’Invite à Table : Le Combat d’Alice pour sa Famille
— Non, mais tu ne vas pas laisser Camille faire la vaisselle toute seule, quand même ?
Ma voix a claqué dans la cuisine, plus fort que je ne l’aurais voulu. Mon fils, Thomas, s’est figé, une assiette encore mouillée dans les mains. Camille, sa femme, a levé les yeux au ciel, un sourire en coin. Je me suis sentie vieille, dépassée, mais surtout… blessée. Comment en étions-nous arrivés là ?
Il y a encore quelques années, jamais je n’aurais imaginé que la répartition des tâches ménagères deviendrait un sujet de dispute dans ma famille. Chez nous, à Tours, c’était simple : mon mari Jean s’occupait du jardin et de la voiture, moi de la maison et des enfants. Personne ne remettait ça en question. Mais tout a changé le jour où Thomas a rencontré Camille.
Camille… Rien que son prénom me faisait penser à une héroïne de roman. Elle était différente des autres jeunes femmes de son âge : indépendante, brillante, pleine d’idées sur l’égalité et la justice. Au début, je l’ai admirée. Mais très vite, j’ai compris qu’elle allait bouleverser notre équilibre.
Le soir de leur mariage, alors que tout le monde riait et dansait sous les guirlandes lumineuses du jardin familial, Camille m’a prise à part :
— Alice, je veux que tu saches que Thomas et moi avons décidé de partager toutes les tâches. Ce n’est pas contre toi ou ta façon de faire… C’est juste notre choix.
J’ai souri, polie. Mais au fond de moi, j’ai senti une fissure. Pourquoi changer ce qui avait toujours fonctionné ?
Les premiers mois de leur vie commune ont été un choc pour moi. Thomas passait l’aspirateur, faisait les courses, préparait le dîner. Je le voyais s’activer dans leur petit appartement de la rue Nationale et je me sentais inutile. Pire : j’avais l’impression d’avoir échoué en tant que mère. N’étais-je pas censée lui apprendre à prendre soin d’une femme ?
Un dimanche midi, alors que je préparais un gratin dauphinois pour toute la famille, Camille est venue m’aider en cuisine. Elle a coupé les pommes de terre avec une précision militaire.
— Tu sais, Alice, ma mère m’a toujours dit qu’un couple heureux, c’est un couple qui partage tout. Même les corvées.
J’ai haussé les épaules.
— Chez nous, ce n’était pas comme ça…
Elle a souri doucement.
— Peut-être qu’il est temps de changer ?
J’ai senti la colère monter. Qui était-elle pour remettre en cause toute une vie ?
Les semaines ont passé et les tensions se sont accumulées. Jean ne comprenait pas pourquoi Thomas passait autant de temps à la maison. Ma fille Pauline trouvait Camille « trop féministe ». Les repas de famille devenaient des champs de bataille silencieux.
Un soir d’hiver, alors que la pluie battait contre les vitres et que la soupe mijotait sur le feu, Thomas a craqué.
— Maman, pourquoi tu refuses de comprendre ? Je suis heureux comme ça !
J’ai éclaté en sanglots. Je me sentais trahie par mon propre fils.
— Tu crois que j’ai été malheureuse avec ton père ? Tu crois que j’aurais voulu une autre vie ?
Il m’a pris dans ses bras.
— Non… Mais j’ai envie d’autre chose pour moi. Et pour Camille.
Ce soir-là, j’ai compris que je devais lâcher prise. Que l’amour ne se mesure pas au nombre de chemises repassées ou de repas préparés. Que le bonheur de mes enfants ne ressemblerait jamais au mien.
Petit à petit, j’ai appris à regarder Camille autrement. À admirer sa force tranquille quand elle défend ses idées au café du coin avec ses amies. À sourire en voyant Thomas préparer un gâteau pour l’anniversaire de leur fille Lucie.
Un jour, alors que nous étions toutes les deux dans la cuisine — encore elle ! — Camille m’a tendu un torchon.
— On fait la vaisselle ensemble ?
J’ai ri. Pour la première fois depuis longtemps.
Aujourd’hui, je ne dis plus rien quand Thomas passe l’aspirateur ou quand Camille bricole une étagère. Je me contente d’aimer leur bonheur à leur façon.
Mais parfois, le soir, quand je repense à ma propre vie, je me demande : aurais-je été plus heureuse si j’avais eu le courage de demander plus ? Et vous… qu’auriez-vous fait à ma place ?