Quand l’amour ne suffit plus : l’histoire de mon combat pour mon fils

« Tu ne comprends donc pas, maman ? On ne peut plus continuer comme ça ! » Ma voix tremble dans la cuisine exiguë de notre deux-pièces à Montreuil. Louis, mon petit garçon de cinq ans, dort dans la chambre d’à côté, inconscient de la tempête qui gronde. Face à moi, Julien baisse les yeux. Il n’ose pas répondre. Je sais qu’il souffre aussi, mais ce silence me ronge.

Tout a commencé il y a deux ans, quand Louis est tombé malade pour la première fois. Rien de grave, une simple bronchite, mais dans notre appartement humide, chaque toux résonnait comme un rappel cruel de notre impuissance. J’ai supplié Julien de demander de l’aide à ses parents. Ils vivent dans le 16ème arrondissement, un vaste appartement lumineux, des tableaux aux murs, des tapis épais sous les pieds. Mais à chaque fois qu’il évoque notre situation, son père, Monsieur Lefèvre, coupe court :

— Julien, tu dois apprendre à te débrouiller. Nous avons travaillé dur pour en arriver là.

Sa mère, élégante et distante, ajoute toujours :

— Il faut savoir se contenter de ce qu’on a. Et puis, ce n’est pas sain d’assister les jeunes couples.

Je serre les poings. Ce n’est pas une question d’assistanat ! Nous travaillons tous les deux. Je suis infirmière à l’hôpital Saint-Antoine, je fais des nuits entières pour arrondir les fins de mois. Julien est professeur de français au collège du quartier. Mais avec les prix de l’immobilier à Paris, même en économisant chaque centime, nous n’arrivons pas à réunir l’apport nécessaire pour acheter un appartement plus grand.

La dernière fois que nous sommes allés dîner chez eux, j’ai vu le regard que sa mère a lancé à Louis quand il a renversé son jus d’orange sur le tapis persan. J’ai senti la honte me brûler la gorge. Louis n’a rien dit, il a juste baissé la tête. Sur le chemin du retour, il m’a demandé :

— Maman, pourquoi Mamie ne m’aime pas ?

J’ai eu envie de hurler. Comment expliquer à un enfant que certaines personnes mettent leur confort au-dessus de l’amour familial ?

Les disputes avec Julien se sont multipliées. Il est pris entre deux feux : la loyauté envers ses parents et l’amour pour nous. Parfois, il explose :

— Tu crois que c’est facile pour moi ? J’ai grandi dans cette famille ! J’ai toujours voulu leur plaire…

Je comprends sa douleur mais je ne peux plus supporter cette situation. Chaque mois, c’est la même angoisse : payer le loyer, acheter des vêtements pour Louis qui grandit trop vite, économiser sur la nourriture. Je me surprends à envier mes collègues dont les parents gardent les enfants ou aident à payer une partie du crédit.

Un soir d’hiver, alors que Louis tousse encore dans son sommeil, je prends une décision. J’appelle ma propre mère à Lyon. Elle n’a pas beaucoup d’argent mais elle m’écoute sans juger.

— Ma chérie, tu sais que tu peux toujours venir ici si ça devient trop dur.

Mais partir serait abandonner Julien à sa solitude et priver Louis de son père. Je me sens piégée.

Quelques semaines plus tard, lors d’un déjeuner familial tendu chez les Lefèvre, je craque. La conversation tourne autour des vacances au ski qu’ils prévoient avec leurs amis.

— Nous, on ne partira pas cette année… dis-je doucement.

Sa mère hausse un sourcil :

— Il faut savoir faire des choix dans la vie.

Je sens mes larmes monter. Je me lève brusquement et sors sur le balcon glacé. Julien me rejoint quelques minutes plus tard.

— Je suis désolé…

Je le regarde droit dans les yeux :

— Tu dois choisir, Julien. Notre fils mérite mieux que cette indifférence.

Cette nuit-là, nous parlons jusqu’à l’aube. Pour la première fois, Julien admet qu’il souffre du manque d’amour de ses parents autant que moi. Il promet de leur parler franchement.

Quelques jours plus tard, il affronte son père :

— Papa, j’ai besoin que tu comprennes que ta distance nous fait du mal. Louis est ton petit-fils !

Mais Monsieur Lefèvre reste inflexible :

— Je ne céderai pas au chantage affectif.

Julien rentre abattu mais déterminé. Nous décidons alors de chercher un logement en banlieue plus éloignée, quitte à rallonger nos trajets quotidiens. Nous faisons appel à une association qui aide les familles modestes à accéder à la propriété.

Le jour où nous signons enfin le compromis pour un petit pavillon à Melun, j’ai envie de pleurer de soulagement et de tristesse mêlés. Nous avons réussi seuls, mais à quel prix ? Louis court dans le jardin minuscule en riant. Je le regarde et je me demande :

Est-ce que l’amour suffit vraiment quand la famille vous tourne le dos ? Jusqu’où peut-on aller pour protéger ceux qu’on aime ?