Mon journal égaré : secrets dévoilés dans une petite ville française

« Tu n’as pas honte ? » La voix de ma mère résonne encore dans la cuisine, tranchante comme un couteau. Je reste figée devant elle, les yeux embués, incapable de répondre. Ce matin-là, tout le village de Saint-Aubin bruissait d’une rumeur : quelqu’un avait publié sur le groupe Facebook local des extraits de mon journal intime. Des phrases arrachées à mon cœur, des secrets que je croyais enfouis à jamais.

Je m’appelle Camille Dubois, j’ai seize ans, et jusqu’à hier, je croyais que mes pensées étaient à l’abri dans ce vieux carnet à la couverture bleue. Je l’ai perdu il y a une semaine, quelque part entre le lycée et la boulangerie de Madame Lefèvre. Depuis, chaque jour, un nouveau secret apparaît sur Internet : mes doutes sur mon père, mon amour secret pour Lucie, ma meilleure amie, et même ma peur de ne pas être « normale ».

« Camille, tu te rends compte de ce que tu as écrit ? » Mon père, d’habitude si calme, a du mal à contenir sa colère. Ma petite sœur Zoé me regarde avec des yeux ronds, comme si j’étais devenue une étrangère. Je voudrais disparaître.

Le soir même, je reçois un message anonyme : « Tu n’aurais pas dû tout écrire. » Mon cœur s’emballe. Qui peut me faire ça ? Qui me hait assez pour vouloir me détruire ?

À l’école, les regards changent. Lucie m’évite. Les garçons ricanent dans les couloirs. Même mon professeur de français me lance un regard triste. Je me sens trahie par tout le monde et par moi-même.

Un jour, alors que je traverse la place du marché, j’entends deux voisines chuchoter : « Tu as vu ce qu’elle a écrit sur sa famille ? » Je baisse la tête, honteuse. Ma mère ne veut plus que je sorte seule. Mon père ne me parle plus qu’à peine. La maison est devenue glaciale.

Je décide d’enquêter moi-même. Je soupçonne d’abord Élodie, une fille jalouse de ma classe. Mais elle nie tout en bloc. Puis je pense à mon frère aîné, Hugo, qui vit à Paris mais qui est revenu pour le week-end. Il me jure qu’il n’a rien à voir avec ça.

Un soir, alors que je fouille dans la chambre de Zoé pour chercher des indices, elle entre brusquement :
— Qu’est-ce que tu fais là ?
— Je cherche mon journal… Tu ne l’aurais pas vu ?
Elle détourne les yeux.
— Non…
Mais je sens qu’elle ment.

Je décide de confronter Lucie. Nous nous retrouvons au bord de la rivière, là où nous allions jouer enfants.
— Pourquoi tu m’évites ?
— Tout le monde parle de toi… de nous…
— Ce n’est pas moi qui ai publié ces secrets !
Elle me regarde longuement.
— Mais tu les as écrits…
Je sens mes larmes couler.
— Oui… mais c’était pour moi… pour comprendre ce que je ressens.
Lucie s’approche et me prend la main.
— Moi aussi j’ai peur…

Ce soir-là, je rentre chez moi avec un poids en moins sur le cœur. Mais la guerre à la maison continue. Ma mère m’accuse d’avoir sali notre réputation. Mon père ne supporte pas que j’aie douté de lui dans mon journal. Zoé reste enfermée dans sa chambre.

Un matin, je trouve sur mon lit une enveloppe anonyme contenant mon journal. À l’intérieur, un mot griffonné : « Désolée ». Je reconnais l’écriture tremblante de Zoé.

Je cours la voir.
— Pourquoi tu as fait ça ?
Elle éclate en sanglots.
— Je voulais juste que tu arrêtes de tout garder pour toi… Tu étais toujours triste… Je ne pensais pas que ça irait si loin…
Je la serre fort contre moi. La colère laisse place à la tristesse et à la compréhension.

Les jours suivants sont difficiles. Mes parents sont blessés mais commencent à comprendre que mes mots étaient des cris d’appel à l’aide. Lucie revient vers moi petit à petit. Au lycée, certains continuent de se moquer mais d’autres viennent me parler de leurs propres peurs.

J’apprends à pardonner à Zoé et à moi-même. J’accepte peu à peu qui je suis et ce que j’ai ressenti. Ma famille n’est plus parfaite mais elle est réelle.

Aujourd’hui encore, je me demande : pourquoi avons-nous si peur de nos vérités ? Est-ce que nos secrets nous définissent ou nous libèrent-ils enfin ?