Mon fils adulte revient à la maison après son divorce : retrouvera-t-il le bonheur ?
« Tu veux du café, Julien ? »
Il ne répond pas. Assis à la table de la cuisine, le regard perdu dans la cour grise de notre immeuble du 14e arrondissement, il tourne machinalement sa cuillère dans une tasse vide. Je n’ose pas briser ce silence qui s’est installé entre nous depuis qu’il est revenu. Mon fils, mon grand garçon de trente-cinq ans, est redevenu ce petit garçon blessé que je ne sais plus consoler.
Il y a trois semaines, il a franchi la porte de mon modeste appartement avec une valise cabossée et des yeux rougis. « C’est fini avec Claire », a-t-il murmuré, la voix brisée. Je n’ai pas posé de questions. J’ai simplement ouvert mes bras, comme je l’ai toujours fait. Mais aujourd’hui, je sens que mon amour ne suffit plus à apaiser sa douleur.
Le soir, alors que je range la vaisselle, j’entends ses pas lourds dans le couloir. Il s’arrête devant la porte de la chambre d’ami — sa chambre désormais — et reste immobile. Parfois, il s’effondre sur le canapé du salon et fixe la télévision sans la regarder. D’autres fois, il sort marcher sous la pluie, sans parapluie, comme pour se punir ou se laver de quelque chose que je ne comprends pas.
Un matin, alors que je prépare des tartines, il lâche soudain :
— Tu crois qu’on peut être heureux deux fois dans une vie ?
Je sursaute. Sa voix est rauque, étrangère. Je cherche mes mots.
— Je crois… Je crois qu’on peut l’être autant de fois qu’on en a besoin, Julien.
Il esquisse un sourire triste. « Claire m’a dit que j’étais incapable d’aimer vraiment. Que je fuyais toujours quand ça devenait sérieux… »
Je sens une colère sourde monter en moi contre cette femme qui a brisé mon fils. Mais je me tais. Je sais que la vérité est plus complexe. Julien a toujours eu du mal à exprimer ses sentiments. Même enfant, il préférait se réfugier dans ses livres ou partir seul à vélo plutôt que de parler de ce qui n’allait pas.
Les jours passent et notre routine s’installe. Je fais les courses, je cuisine des plats qu’il aimait petit — gratin dauphinois, blanquette de veau — mais il picore à peine. Il passe des heures sur son ordinateur, à envoyer des CV ou à regarder des vidéos sans intérêt. Parfois, il reçoit un message sur son téléphone et son visage se ferme encore plus.
Un dimanche après-midi, ma sœur Hélène vient prendre le café. Elle me lance un regard inquiet en voyant Julien affalé sur le fauteuil, les yeux cernés.
— Tu devrais sortir un peu, mon grand ! Va voir tes amis !
Julien hausse les épaules.
— Ils ont tous leur vie… leurs enfants… Je ne veux pas être le boulet divorcé qui plombe l’ambiance.
Hélène me prend à part dans la cuisine.
— Il faut qu’il voie quelqu’un, Françoise. Un psy, peut-être ?
Je soupire. J’y ai pensé mille fois. Mais comment lui dire sans qu’il se sente encore plus faible ?
Le soir même, alors que je plie son linge propre sur son lit, je me lance :
— Tu sais, parler à quelqu’un d’extérieur… ça pourrait t’aider.
Il me regarde longuement.
— Tu penses que je suis fou ?
— Non… Je pense que tu souffres. Et que tu n’es pas obligé de porter ça tout seul.
Il détourne les yeux mais ne proteste pas. Le lendemain, il prend rendez-vous avec un psychologue du quartier.
Les semaines suivantes, je vois peu à peu mon fils renaître. Il recommence à sortir, à voir quelques amis d’enfance. Il trouve un petit boulot dans une librairie du boulevard Saint-Michel. Un soir, il rentre avec un sourire timide et me raconte qu’il a conseillé un roman à une cliente qui lui a laissé son numéro.
Mais tout n’est pas simple. Un soir d’automne, alors que je rentre tard du travail, je le trouve assis par terre dans la cuisine, en larmes.
— J’ai peur de rester comme ça toute ma vie… J’ai tout raté, maman.
Je m’assois près de lui et le prends dans mes bras.
— Tu n’as rien raté. Tu traverses une tempête, c’est tout. Mais tu es vivant, Julien. Et tu es aimé.
Il pleure longtemps contre mon épaule. Ce soir-là, je comprends que le chemin sera long mais qu’il n’est pas seul.
Noël approche et l’appartement se remplit d’odeurs de cannelle et de vin chaud. Julien m’aide à décorer le sapin comme quand il était petit. Nous rions en accrochant les vieilles boules dépareillées. Pour la première fois depuis des mois, j’entends son rire résonner dans l’appartement.
Le soir du réveillon, alors que nous partageons une bûche au chocolat devant les guirlandes scintillantes, il me prend la main :
— Merci de ne jamais m’avoir lâché.
Je serre sa main très fort.
Aujourd’hui encore, il y a des jours sombres et des rechutes. Mais il y a aussi des matins où il se lève avec l’envie d’avancer. Je me demande souvent : ai-je fait assez pour lui ? Peut-on vraiment réparer un cœur brisé ? Ou faut-il simplement apprendre à vivre avec les fissures ?
Et vous… avez-vous déjà vu un proche sombrer puis renaître ? Que feriez-vous à ma place ?