Maman, voici Paul : Mon futur mari et nos deux enfants, comme tu l’as toujours voulu

— Tu ne vas pas sortir comme ça, Élise ?

La voix de ma mère résonne dans le couloir, tranchante comme une lame. Je baisse les yeux sur ma jupe longue, mon chemisier boutonné jusqu’au cou. J’ai dix-sept ans, et je n’ai jamais compris l’obsession de mes camarades pour les garçons, les mini-jupes et le rouge à lèvres. Moi, je révise, j’obtiens des mentions, et je rêve d’un avenir qui ferait briller les yeux de maman. Mais ce soir, je dois lui présenter Paul.

Paul, c’est tout ce qu’elle a toujours voulu pour moi : un garçon poli, issu d’une bonne famille de Lyon, étudiant en droit, qui dit « bonjour madame » en serrant la main. Pourtant, mon cœur bat la chamade, pas de désir, mais de peur. Peur qu’elle découvre que tout cela n’est qu’une façade, un rôle que je joue pour elle.

— Maman, Paul arrive dans cinq minutes. Tu peux, s’il te plaît, ne pas lui parler de mariage dès le début ?

Elle me lance ce regard qui me glace le sang, mélange de déception et d’incompréhension.

— Tu sais bien que je veux juste ce qu’il y a de mieux pour toi, Élise. Tu ne veux pas finir comme ta cousine Sophie, à trente ans, sans enfants ni mari ?

Je serre les dents. Sophie est la honte de la famille, celle qui a osé partir à Paris pour devenir photographe. Moi, je reste à Lyon, je fais ce qu’on attend de moi. Mais à quel prix ?

Paul arrive, bouquet de pivoines à la main. Il sourit, maladroit, et je me force à sourire aussi. Le dîner se déroule dans une tension palpable. Ma mère pose des questions sur ses études, ses parents, ses ambitions. Paul répond sagement, comme on répond à un entretien d’embauche. Mon père, silencieux, observe. Ma petite sœur Camille ricane dans son coin.

Après le dessert, ma mère lâche la bombe :

— Alors, Paul, vous comptez vous installer ensemble après la fac ?

Je sens le rouge me monter aux joues. Paul bafouille, regarde ses chaussures. Je voudrais disparaître. Pourquoi faut-il toujours aller si vite ? Pourquoi ne puis-je pas simplement vivre ?

Le lendemain, au lycée, mes amies parlent de leur soirée. Clara a embrassé Julien derrière le gymnase. Moi, j’ai joué la parfaite fille devant ma mère. Je me sens étrangère à leur monde, étrangère à moi-même.

Les semaines passent. Paul et moi sortons ensemble, mais tout sonne faux. Il m’embrasse du bout des lèvres, me parle de ses rêves d’avocat. Je l’écoute, mais je pense à autre chose. À Sophie, à sa liberté. À ce que je voudrais vraiment.

Un soir, alors que je rentre chez moi, j’entends mes parents se disputer dans la cuisine.

— Tu la pousses trop, dit mon père. Laisse-la respirer.

— Si je ne fais rien, elle va gâcher sa vie ! répond ma mère. Regarde Sophie !

Je monte dans ma chambre en silence. Je m’assois sur mon lit et regarde la photo de Sophie sur mon bureau. Elle sourit, cheveux au vent, appareil photo en bandoulière. Je l’appelle.

— Élise ? Ça va ?

Sa voix est douce, rassurante.

— Sophie… Je crois que je suis en train de me perdre. Je fais tout pour plaire à maman, mais je ne sais même plus ce que je veux.

Elle rit doucement.

— Tu sais, moi aussi j’ai eu peur. Mais un jour, j’ai compris que je n’avais qu’une vie. Et que cette vie devait être la mienne.

Ses mots résonnent en moi toute la nuit.

Quelques jours plus tard, Paul m’invite à dîner chez ses parents. Sa mère me parle de leur maison de campagne en Ardèche, de leurs vacances à Biarritz. Je souris poliment, mais je sens que je ne fais pas partie de ce monde-là non plus.

Sur le chemin du retour, Paul me prend la main.

— Tu es bizarre en ce moment, Élise. Tu veux qu’on parle ?

Je retiens mes larmes.

— Paul… Je crois que je ne suis pas faite pour cette vie-là. Je suis désolée.

Il reste silencieux un long moment.

— Tu sais… Moi non plus, je ne suis pas sûr de vouloir tout ça si vite.

Je le regarde, surprise. Il sourit tristement.

— On fait ce qu’on attend de nous, mais… est-ce vraiment ce qu’on veut ?

Nous restons là, sur le trottoir, deux adolescents perdus dans une ville trop grande pour nos rêves étriqués.

Le lendemain, j’annonce à ma mère que Paul et moi avons rompu. Elle explose.

— Tu fais une énorme erreur ! Tu vas finir seule !

Je pleure, mais je tiens bon.

— Maman… Je veux vivre ma vie. Pas celle que tu as rêvée pour moi.

Elle claque la porte de sa chambre. Mon père me serre dans ses bras sans un mot.

Les mois passent. J’obtiens mon bac avec mention. J’annonce à mes parents que je pars à Paris pour étudier la littérature. Ma mère ne me parle plus pendant des semaines. Mon père m’aide à faire mes valises.

À Paris, je découvre la liberté. Je rencontre des gens différents, j’explore la ville, j’écris des poèmes. Je me sens vivante pour la première fois.

Un soir d’hiver, je reçois une lettre de ma mère. Elle écrit :

« Je ne comprends pas toujours tes choix, mais je t’aime. Peut-être qu’un jour je serai fière de toi autrement. »

Je pleure en lisant ces mots. Peut-on vraiment être soi-même sans blesser ceux qu’on aime ? Faut-il choisir entre sa liberté et l’amour de sa famille ?

Et vous… avez-vous déjà eu peur de décevoir ceux qui comptent le plus pour vous ?