« Ma belle-mère me traite comme une domestique » – Mon combat pour le respect dans la maison qui devait être mon refuge
« Tu n’as pas encore fini la vaisselle, Camille ? Les invités arrivent dans une heure, dépêche-toi un peu ! » La voix sèche de Monique résonne dans la cuisine. Mes mains tremblent au-dessus de l’évier. Je serre les dents pour ne pas répondre, pour ne pas pleurer. Depuis que j’ai épousé Julien, il y a six mois, je vis dans cette maison qui n’a jamais été la mienne. Une grande maison bourgeoise à Tours, pleine de souvenirs qui ne m’appartiennent pas, pleine de règles que je n’ai jamais approuvées.
Julien, mon mari, est assis dans le salon avec sa mère. Ils rient ensemble. Je les entends à travers la porte entrouverte. Parfois, j’ai l’impression d’être invisible. Ou pire : d’être une intruse. Monique ne manque jamais une occasion de me rappeler que je ne suis pas « d’ici », que je viens d’un petit village du Limousin, que je n’ai pas les mêmes manières qu’eux. « Chez nous, on fait les choses correctement », répète-t-elle souvent en me lançant un regard appuyé.
Je me souviens du premier soir après notre mariage. J’étais encore en robe blanche, fatiguée mais heureuse. Monique m’a prise à part dans la cuisine : « Maintenant que tu fais partie de la famille, il va falloir t’adapter. Ici, c’est moi qui décide. » J’ai cru à une plaisanterie. Mais très vite, j’ai compris qu’elle était sérieuse.
Chaque jour, c’est la même routine. Je prépare le petit-déjeuner pour tout le monde, je fais les courses, je nettoie la maison. Monique inspecte mon travail avec un œil critique. « Tu as oublié une tache sur la nappe. Tu n’as pas bien repassé la chemise de Julien. » Parfois, elle me fait recommencer tout ce que j’ai déjà fait. Julien ne dit rien. Il hausse les épaules quand je lui en parle : « Tu sais comment est maman… Elle veut juste que tout soit parfait. »
Mais moi, je m’épuise. Je me sens humiliée. J’ai l’impression d’avoir perdu ma dignité quelque part entre la salle à manger et la buanderie.
Un soir, alors que je rangeais les assiettes après le dîner, j’ai entendu Monique parler à Julien dans le salon :
— Tu vois bien qu’elle n’est pas faite pour cette maison.
— Maman…
— Elle ne comprend rien à nos traditions.
J’ai eu envie de hurler. De tout casser. Mais je suis restée là, figée, les mains serrées sur une assiette ébréchée.
Ma propre famille me manque terriblement. Ma mère m’appelle chaque dimanche : « Comment ça va, ma chérie ? » Je mens souvent : « Tout va bien, maman. Julien est adorable. Sa mère aussi… » Je ne veux pas l’inquiéter. Mais parfois, ma voix tremble et elle devine tout.
Un matin d’hiver, alors que je balayais la terrasse sous la pluie glacée, Monique est sortie avec son manteau de fourrure.
— Tu pourrais faire attention à ne pas salir tes chaussures sur les dalles propres.
J’ai levé les yeux vers elle. Pour la première fois, j’ai soutenu son regard.
— Je fais ce que je peux, Monique.
Elle a haussé un sourcil, surprise par mon audace.
— Tu devrais remercier Julien de t’avoir accueillie ici.
Cette phrase m’a transpercée comme une lame. Accueillie… Comme si j’étais une étrangère recueillie par charité.
Ce soir-là, j’ai attendu que Julien rentre du travail pour lui parler.
— Julien, il faut qu’on discute.
— Qu’est-ce qu’il y a encore ?
— Je ne peux plus vivre comme ça. Ta mère me traite comme une domestique. J’ai besoin de respect.
— Tu exagères… Maman est exigeante mais elle t’aime bien.
— Non, Julien. Elle ne m’aime pas. Elle me méprise.
Il a soupiré et s’est levé sans un mot. J’ai senti un gouffre s’ouvrir entre nous.
Les jours suivants ont été pires encore. Monique a redoublé d’exigence. Elle a commencé à critiquer ma cuisine devant les invités : « Camille n’a pas encore compris comment on prépare un vrai gratin dauphinois… Mais elle apprend, n’est-ce pas ? » Les rires autour de la table m’ont brûlée comme des gifles.
Un soir, alors que je pleurais dans ma chambre, ma sœur Élodie m’a appelée.
— Camille, tu ne peux pas continuer comme ça. Viens à Limoges quelques jours. Prends du recul.
J’ai hésité longtemps. Partir serait admettre l’échec… Mais rester signifiait m’effacer un peu plus chaque jour.
Le lendemain matin, j’ai fait ma valise en silence. Monique m’a regardée sans un mot quand je suis descendue avec mes affaires.
— Où vas-tu comme ça ?
— Chez ma sœur. J’ai besoin de réfléchir.
— Tu abandonnes Julien ?
— Non. Je me protège.
Julien est rentré le soir même et a trouvé la maison vide sans moi. Il m’a appelée plusieurs fois mais je n’ai pas répondu tout de suite.
Chez Élodie, j’ai retrouvé un peu de paix. J’ai parlé, beaucoup pleuré aussi. Ma sœur m’a serrée fort contre elle.
— Tu as le droit d’exister pour toi-même, Camille.
Après une semaine loin de Tours, j’ai décidé d’écrire une lettre à Julien et à sa mère. J’y ai mis tout ce que je n’avais jamais osé dire à voix haute : mon besoin de respect, mon envie d’être aimée pour ce que je suis et non pour ce que je fais ou ce que je représente.
Julien est venu me voir à Limoges quelques jours plus tard.
— Camille… Je suis désolé. Je n’ai pas compris à quel point tu souffrais ici.
— J’ai besoin que tu me défendes face à ta mère. Sinon… je ne reviendrai pas.
Il a promis d’essayer. Nous sommes rentrés ensemble à Tours quelques jours plus tard. Monique a fait la tête pendant des semaines mais a fini par comprendre que quelque chose avait changé en moi.
Aujourd’hui encore, rien n’est parfait. Mais j’ose dire non quand c’est trop lourd pour moi. J’ose demander du respect et poser mes limites.
Parfois je me demande : combien sommes-nous en France à vivre sous le joug d’une belle-mère autoritaire ou d’une famille qui refuse de nous accepter telles que nous sommes ? Pourquoi tant de femmes acceptent-elles encore de s’effacer pour préserver la paix familiale ? Est-ce vraiment cela qu’on attend de nous ?