Le Cadeau de Bois : Entre Amour et Malentendus
« Tu n’aimes pas ? » La voix de Julien tremblait à peine, mais je sentais déjà la tension s’installer dans la petite cuisine de son appartement à Nantes. La boîte à bijoux en bois, posée devant moi sur la table, sentait la sciure fraîche et l’huile de lin. Je la tournais entre mes mains, cherchant les mots justes.
Je savais qu’il y avait passé des heures, après ses journées sur les chantiers et avant de coucher sa fille, Léa. Mais la boîte était… bancale. Le couvercle grinçait, le vernis collait encore un peu. J’avais imaginé autre chose pour mes trente ans : un dîner dans ce restaurant italien où nous avions eu notre premier rendez-vous, ou même un simple week-end à la mer. Pas un objet artisanal qui me rappelait plus son atelier que notre histoire.
« C’est… original, » ai-je fini par dire, la voix hésitante. Julien a baissé les yeux. Léa, du haut de ses huit ans, a senti la gêne et s’est réfugiée dans sa chambre. Le silence est tombé, lourd comme une enclume.
« Tu sais, j’y ai mis tout mon cœur, » a-t-il murmuré. Je me suis sentie coupable aussitôt. Mais pourquoi fallait-il toujours que je sois honnête ? Pourquoi ne pouvais-je pas simplement sourire et le remercier ?
Le lendemain, j’ai retrouvé ma meilleure amie, Sophie, au café du coin. « Tu as été dure, Camille. Il n’a pas beaucoup d’argent, il voulait te faire plaisir avec ce qu’il sait faire de mieux. » J’ai haussé les épaules, piquée au vif : « Mais est-ce que c’est égoïste de vouloir qu’on pense à ce qui me ferait vraiment plaisir ? »
La question a enflammé notre groupe WhatsApp. Ma sœur, Claire, m’a traitée d’ingrate : « Tu ne te rends pas compte de la chance que tu as ! Un homme qui fabrique quelque chose pour toi, c’est rare. » Ma cousine Lucie, elle, a pris mon parti : « Un cadeau doit faire plaisir à celui qui le reçoit, pas seulement à celui qui l’offre. »
Le soir venu, Julien m’attendait dans le salon. Léa dessinait en silence sur la table basse. Il avait les traits tirés. « J’ai vu que tu n’as pas pris la boîte avec toi ce matin… » J’ai senti une boule dans ma gorge.
« Julien, je suis désolée si je t’ai blessé. Mais j’aurais aimé qu’on parle ensemble de ce que j’aime… Je ne porte presque jamais de bijoux, tu le sais bien. »
Il a serré les poings. « C’est tout ce que je pouvais t’offrir cette année. Je voulais que tu comprennes que tu fais partie de ma vie, que tu as ta place ici… Même si c’est modeste. »
J’ai regardé autour de moi : les dessins de Léa accrochés au mur, les outils de Julien rangés dans un coin du salon faute de mieux. Sa vie était une lutte quotidienne pour joindre les deux bouts depuis que la mère de Léa était partie sans un mot.
Je me suis rappelée nos débuts : nos balades sur les bords de l’Erdre, nos rires partagés malgré la fatigue et les galères. Mais depuis quelques mois, tout semblait plus lourd. Je rêvais d’évasion, lui d’ancrage.
La dispute a éclaté pour de bon le samedi suivant. J’avais proposé qu’on parte tous les trois à La Baule pour le week-end ; il a refusé net : « Je ne peux pas laisser le chantier en plan ni payer l’hôtel… Tu ne comprends pas mes priorités ! »
« Et toi, tu comprends les miennes ? J’ai l’impression d’être toujours celle qui s’adapte ! »
Léa s’est mise à pleurer dans sa chambre. J’ai eu honte. Nous étions devenus ces adultes qui se déchirent devant les enfants.
Le lendemain matin, j’ai trouvé un mot sur la table : « Je pars chez mes parents avec Léa pour le week-end. J’ai besoin de réfléchir. »
J’ai erré dans l’appartement vide, caressant machinalement la boîte en bois restée sur la table. J’ai ouvert le couvercle : à l’intérieur, une petite lettre pliée en quatre.
« Camille,
Je sais que ce n’est pas parfait. Mais chaque éclat de bois raconte une histoire : celle d’un homme qui essaie d’être à la hauteur pour la femme qu’il aime et pour sa fille. Je ne sais pas offrir des voyages ou des bijoux précieux. Mais je peux offrir du temps, des efforts et un peu de moi-même.
J’espère que tu comprendras un jour.
Julien »
J’ai pleuré longtemps ce matin-là.
Aujourd’hui encore, je me demande : ai-je été trop dure ? Ou bien est-ce normal d’attendre qu’on nous aime comme on en a besoin ? Peut-on vraiment concilier deux univers si différents sans se perdre soi-même ? Qu’en pensez-vous ?