Le Cadeau de Bois : Entre Amour et Incompréhension

« Tu trouves vraiment ça joli ? » Ma voix tremble à peine, mais le silence qui suit est assourdissant. Grégoire, assis en face de moi, les mains encore couvertes de sciure, baisse les yeux vers la boîte en bois qu’il vient de m’offrir. Je sens déjà la tension monter dans la pièce, comme une vague prête à tout emporter.

C’était mon anniversaire. J’attendais ce moment avec impatience, espérant une surprise, un geste tendre, quelque chose qui me prouverait que malgré ses journées épuisantes à l’atelier et ses soirées à s’occuper de sa petite fille, il pensait encore à moi. Mais quand j’ai déchiré le papier kraft pour découvrir cette boîte rustique, mal poncée, avec mon prénom gravé maladroitement sur le couvercle, j’ai senti une déception sourde m’envahir.

« Je… je voulais faire quelque chose de personnel », balbutie-t-il. Il évite mon regard, tripote nerveusement le coin de la table. « Je sais que ce n’est pas parfait, mais… »

Je coupe court, incapable de retenir ma frustration : « Tu sais que j’adore les bijoux, les livres… Pourquoi tu t’acharnes à faire ces trucs en bois ? »

Un silence glacial s’installe. Sa fille, Camille, qui dessinait dans un coin du salon, lève les yeux vers nous, inquiète. Je me sens aussitôt coupable, mais la colère prend le dessus. Pourquoi ne comprend-il pas ce que j’attends de lui ? Pourquoi s’obstine-t-il à m’offrir ce qu’il aime lui, sans penser à moi ?

Grégoire se lève brusquement. « Je croyais que ça te ferait plaisir… Je voulais te montrer que tu comptes pour moi. » Sa voix se brise. Il attrape sa veste et sort sur le balcon, laissant la porte claquer derrière lui.

Je reste là, seule avec ma culpabilité et cette boîte en bois qui me semble soudain plus lourde qu’un coffre-fort. Camille s’approche timidement : « Tu n’aimes pas le cadeau de papa ? »

Je m’accroupis à sa hauteur, caresse ses cheveux blonds. « Si, ma puce… C’est juste que… parfois les adultes se disputent pour des bêtises. »

Mais au fond de moi, je sens que ce n’est pas si simple. Ce n’est pas la première fois que Grégoire et moi nous heurtons à nos différences. Lui, l’artisan passionné, qui trouve du réconfort dans le bois et les gestes simples ; moi, citadine pressée, avide de culture et de raffinement. Depuis deux ans que nous sommes ensemble, ces décalages s’accumulent comme des échardes sous la peau.

Le lendemain matin, il ne rentre pas dormir. Je passe la nuit à tourner en rond dans l’appartement, relisant nos messages échangés au fil des mois : des mots doux, des promesses d’avenir, des photos de week-ends improvisés en Bretagne ou dans le Jura. Où est passée cette complicité ?

Je repense à notre première rencontre : un marché artisanal à Lyon. Il vendait des planches à découper gravées à la main ; j’étais venue acheter du fromage avec une amie. Il m’avait offert un sourire timide et un porte-clés en forme de cœur. J’avais trouvé ça charmant… À quel moment ai-je cessé d’apprécier ses gestes simples ?

Le surlendemain, Grégoire revient chercher quelques affaires. Il ne me regarde pas. Je tente une approche :

— Grégoire… Je suis désolée pour l’autre soir. J’ai été maladroite.

Il hausse les épaules :

— Ce n’est pas grave. J’ai compris.

Son ton est sec. Il attrape un sac de sport et s’apprête à partir quand Camille surgit :

— Papa ! Tu reviens ce soir ?

Il hésite, puis se penche pour l’embrasser.

— On verra, ma chérie.

La porte claque à nouveau. Je m’effondre sur le canapé. Les jours suivants sont un supplice : ni message ni appel. Je me noie dans le travail pour oublier l’absence.

Mais sur les réseaux sociaux, tout explose : une amie a posté une photo du fameux cadeau avec la légende « Quand ton mec te fabrique un truc moche pour ton anniv’ ». Les commentaires fusent : certains me défendent (« Elle a raison d’être déçue ! »), d’autres me jugent (« Ingratitude », « Elle ne mérite pas un gars comme ça »). Je me sens exposée, humiliée… et surtout coupable.

Un soir, je reçois un message de sa sœur, Sophie :

— Tu sais qu’il a passé des nuits entières sur cette boîte ? Il voulait te faire plaisir… Il n’a jamais fait ça pour personne.

Je relis ces mots en boucle. Je repense à son regard blessé, à ses mains abîmées par le travail du bois. Ai-je été trop dure ? Ai-je oublié ce que signifie vraiment aimer quelqu’un ?

Je décide d’aller le voir à son atelier. L’odeur du bois frais me prend à la gorge dès l’entrée. Il est là, penché sur un établi, concentré sur une nouvelle création.

— Grégoire…

Il ne relève pas la tête.

— Je voulais m’excuser. J’ai été injuste. Ce cadeau… il est unique parce qu’il vient de toi.

Il s’arrête enfin et me regarde droit dans les yeux.

— Tu sais ce qui fait mal ? Ce n’est pas que tu n’aimes pas la boîte. C’est que tu n’as pas vu l’effort derrière. J’aurais préféré que tu me dises franchement ce que tu ressens… sans te moquer devant tout le monde.

Je baisse les yeux, honteuse.

— Je ne voulais pas te blesser… J’ai juste eu peur que tu ne comprennes jamais ce dont j’ai besoin.

Il soupire longuement.

— Peut-être qu’on ne parle pas la même langue… Toi et moi.

Je repars sans réponse claire. Mais ce soir-là, je comprends que l’amour n’est pas fait de cadeaux parfaits ou de gestes spectaculaires. Il est fait d’efforts maladroits, de tentatives ratées mais sincères.

En rentrant chez moi, je regarde la boîte en bois posée sur la table. Pour la première fois, je vois au-delà des défauts : je vois l’amour brut d’un homme qui a voulu me toucher à sa façon.

Est-ce que j’ai été trop dure ? Ou est-ce simplement impossible d’aimer sans parfois blesser ? Et vous… comment auriez-vous réagi à ma place ?