« Je suis sa femme. Puis-je entrer ? » — L’histoire de Claire et Julien
« Je suis sa femme. Puis-je entrer ? »
La voix résonne dans le couloir, froide, assurée, presque cruelle. Je serre la poignée de la porte, mon cœur battant à tout rompre. Derrière moi, la lumière du salon éclaire à peine le visage de Julien, mon mari, qui s’est figé comme une statue. Devant moi, une inconnue, élégante, les cheveux tirés en chignon, me regarde droit dans les yeux. Elle répète, plus fort : « Je suis la femme de Julien. Laissez-moi entrer. »
Je m’appelle Claire. J’ai trente-trois ans, professeure de lettres dans un lycée de Lyon. Ce soir-là, je n’aurais jamais dû rentrer si tôt. Je n’aurais jamais dû accepter d’aller à ce match de volley avec Julien. J’étais fatiguée, j’avais mille copies à corriger, mais il insistait tellement… « Viens, ça nous changera les idées. »
Le match était tendu, l’équipe locale perdait. Julien semblait ailleurs, nerveux. À la mi-temps, il a reçu un message sur son téléphone et a pâli. « Je dois sortir deux minutes », m’a-t-il dit. J’ai haussé les épaules, habituée à ses petits secrets — ou du moins je le croyais.
En rentrant à l’appartement, tout a basculé. Cette femme attendait devant notre porte. Elle connaissait mon prénom, mon adresse. Elle savait tout de moi. Mais moi… je ne savais rien d’elle.
— Vous vous trompez d’appartement, ai-je tenté, la voix tremblante.
— Non, Claire. Je ne me trompe pas.
Julien s’est avancé, blême.
— Camille… Qu’est-ce que tu fais là ?
Camille. Ce prénom résonne dans ma tête comme un coup de tonnerre. Je me souviens vaguement d’une collègue dont il parlait parfois, mais jamais avec émotion.
— Tu ne lui as rien dit ? demande Camille en le fixant.
Julien baisse les yeux. Je sens la colère monter en moi.
— Me dire quoi ? Julien, qu’est-ce que tu me caches ?
Il balbutie quelques mots incompréhensibles. Camille soupire et entre sans attendre mon accord.
— Je suis désolée, Claire. Mais il faut que tu saches la vérité.
Je m’effondre sur le canapé, incapable de parler. Julien reste debout, les poings serrés.
Camille s’assoit en face de moi.
— Julien et moi… Nous étions mariés avant qu’il te rencontre. Il ne t’a jamais parlé de notre mariage parce qu’il n’a jamais divorcé officiellement.
Le sol se dérobe sous mes pieds. Je regarde Julien, cherchant un signe que tout cela n’est qu’un mauvais rêve.
— C’est faux… dis-moi que c’est faux !
Julien s’agenouille devant moi.
— Claire… Je voulais te le dire depuis longtemps. Mais j’avais peur de te perdre.
Camille sort des papiers de son sac — des actes de mariage, des lettres officielles.
— Je ne veux pas te faire de mal, Claire. Mais j’ai besoin que Julien règle enfin cette histoire. J’en ai assez d’attendre dans l’ombre.
Un silence glacial s’installe. Je sens la trahison me brûler la gorge.
— Depuis combien de temps tu me mens ? Depuis combien de temps tu vis cette double vie ?
Julien éclate en sanglots.
— Je t’aime, Claire… Mais je n’ai jamais su comment affronter mon passé.
Camille se lève.
— Je reviendrai demain. Décidez-vous.
Elle claque la porte derrière elle. Le silence retombe comme une chape de plomb.
Je regarde Julien — cet homme que je croyais connaître mieux que personne. Tout s’effondre autour de moi : nos projets d’enfant, nos vacances en Bretagne, nos soirées à refaire le monde…
— Tu m’as volé ma confiance… Comment as-tu pu ?
Il tente de me prendre la main mais je recule.
— Laisse-moi seule.
Je passe la nuit à tourner en rond dans l’appartement déserté par la chaleur humaine. Les souvenirs affluent — chaque sourire de Julien me paraît désormais suspect, chaque absence suspecte.
Le lendemain matin, je me rends chez ma sœur Sophie à Villeurbanne. Elle m’ouvre la porte sans un mot et me serre dans ses bras.
— Tu veux parler ?
Je secoue la tête. Les mots restent coincés dans ma gorge.
Sophie prépare du café et s’assied en face de moi.
— Tu sais… Papa aussi avait ses secrets. Maman l’a appris trop tard et ça l’a détruite. Ne laisse pas ça t’arriver.
Je pleure en silence. La honte me ronge — comment ai-je pu être aussi aveugle ?
Les jours passent. Julien m’envoie des messages désespérés : « Pardonne-moi… Je vais divorcer… Je t’aime… » Mais comment croire encore à ses promesses ?
Au lycée, mes collègues remarquent mon air absent. Madame Lefèvre me glisse un mot en salle des profs :
— Tu sais, Claire… Parfois on croit connaître les gens et puis tout bascule. Mais tu es forte.
Je souris faiblement.
Un soir, Camille m’attend devant chez moi.
— Je voulais m’excuser pour l’autre soir… Ce n’était pas contre toi.
Elle baisse les yeux.
— Tu sais… Moi aussi j’ai cru à ses belles paroles au début. Mais on ne peut pas construire sa vie sur des mensonges.
Nous restons là, deux femmes blessées par le même homme, à partager notre douleur sans vraiment se parler.
Finalement, Julien finit par divorcer officiellement de Camille. Mais rien n’efface la trahison ni les nuits blanches passées à douter de tout.
Aujourd’hui encore, je me demande si l’on connaît vraiment ceux qu’on aime — ou si l’on aime seulement ce qu’on croit savoir d’eux.
Et vous… Avez-vous déjà eu l’impression que votre vie pouvait basculer en une seconde ? Peut-on vraiment pardonner l’impardonnable ?