« Je ne suis pas une nounou gratuite parce que je suis en congé maternité ! » – Quand la famille se retourne contre moi
« Tu pourrais bien rendre service, non ? Après tout, tu es à la maison toute la journée ! »
La voix de ma belle-mère, Monique, résonne encore dans ma tête. Ce dimanche-là, la table était dressée chez nous à Lyon, le rôti fumait, et tout semblait paisible. Mais sous la nappe, la tension montait. Mon mari, François, avait ce regard fuyant qu’il prend quand il sait qu’il va me mettre dans l’embarras. Ma belle-sœur, Claire, pianotait sur son téléphone, indifférente. Et moi, je serrais les poings sous la table, mon bébé de trois mois dormant paisiblement dans son couffin à côté de moi.
— Tu pourrais garder Léa deux après-midis par semaine, non ? Ça aiderait beaucoup Claire, elle doit reprendre le travail lundi, a insisté Monique en me fixant.
J’ai senti le rouge me monter aux joues. Je venais à peine d’accoucher, j’étais épuisée, perdue dans ce nouveau rôle de mère. Mais pour eux, mon congé maternité était synonyme de vacances. J’ai pris une grande inspiration.
— Je suis désolée, mais je ne peux pas. Je suis déjà débordée avec Paul, et j’ai besoin de ce temps pour me reposer et m’occuper de lui.
Un silence glacial s’est abattu sur la pièce. François a baissé les yeux. Monique a soupiré bruyamment.
— Franchement, Lucie, tu pourrais faire un effort. On n’a pas élevé notre fils pour qu’il épouse une femme aussi égoïste.
J’ai cru que j’allais m’effondrer. Égoïste ? Moi ? Après tout ce que je faisais déjà ? J’ai regardé François, espérant un soutien. Il a simplement haussé les épaules.
— Ce n’est pas grand-chose, Lucie. Léa est sage, tu verras…
J’ai eu envie de hurler. Personne ne comprenait ce que je vivais : les nuits blanches, les pleurs, la fatigue qui me collait à la peau. Mais dans cette famille, on ne parle pas de ces choses-là. On attend des femmes qu’elles encaissent tout sans broncher.
Après le déjeuner, tout le monde est parti sans un mot de plus. Le soir même, j’ai reçu un message de Claire :
« Merci pour rien. Tu pourrais penser aux autres pour une fois. »
J’ai pleuré toute la nuit. Le lendemain, Monique a appelé François pour lui dire qu’elle était déçue de moi, que j’avais brisé l’harmonie familiale. Lui m’a reproché d’avoir « fait une scène » devant tout le monde.
Les jours suivants ont été un enfer. J’ai senti le regard des voisins – Monique n’a pas tardé à raconter à tout le quartier que je refusais d’aider ma propre famille. Même ma mère m’a appelée :
— Tu sais, Lucie, parfois il faut savoir mettre de l’eau dans son vin…
Mais pourquoi est-ce toujours aux femmes de sacrifier leur bien-être ? Pourquoi mon congé maternité devait-il servir à rendre service aux autres ?
J’ai commencé à douter de moi. Peut-être étais-je vraiment égoïste ? Peut-être aurais-je dû accepter ? Mais chaque fois que je regardais Paul dormir contre moi, je savais que j’avais fait le bon choix. J’avais besoin de ce temps pour lui et pour moi.
Un soir, alors que François rentrait tard du travail, je l’ai attendu dans la cuisine.
— Tu trouves ça normal que tout le monde m’en veuille parce que j’ai dit non ?
Il a soupiré.
— Tu sais comment est ma mère… Elle veut toujours tout contrôler. Mais tu aurais pu faire un effort.
J’ai éclaté :
— Un effort ?! Je n’en peux plus, François ! Je n’ai même pas le temps de prendre une douche tranquille ! Je ne suis pas une nounou gratuite parce que je suis en congé maternité !
Il est resté silencieux. J’ai compris qu’il ne me soutiendrait pas. J’étais seule face à cette tempête.
Les semaines ont passé. Les invitations familiales se sont raréfiées. On ne m’appelait plus pour les anniversaires ou les repas du dimanche. J’étais devenue la paria, celle qui avait osé dire non.
Mais petit à petit, j’ai retrouvé des forces. J’ai rencontré d’autres jeunes mamans au parc, qui vivaient la même chose : la pression familiale, l’incompréhension, la solitude. On s’est soutenues, on a ri, on a pleuré ensemble.
Un jour, alors que je promenais Paul en poussette, Monique m’a croisée au marché. Elle m’a ignorée ostensiblement. J’ai ressenti un pincement au cœur, mais aussi une étrange fierté. J’avais tenu bon. J’avais protégé mon espace, mon enfant, mon équilibre fragile.
Aujourd’hui encore, la famille ne m’a pas pardonné. François et moi sommes plus distants que jamais. Mais je ne regrette rien.
Est-ce vraiment être égoïste que de vouloir s’occuper de son propre enfant ? Pourquoi la société attend-elle toujours des femmes qu’elles s’oublient pour les autres ? Qu’en pensez-vous ?