Il est rentré à la maison et a dit : « Je veux divorcer. »

« Je veux divorcer. »

Les mots sont tombés comme une gifle. J’ai cru que j’avais mal entendu, que Julien plaisantait, mais son regard était dur, fermé, étranger. Je me suis accrochée à la table de la cuisine, mes doigts tremblaient. Les enfants étaient dans leur chambre, insouciants, et moi, j’étais là, figée, incapable de répondre.

— Tu ne dis rien ? a-t-il insisté, la voix basse.

J’ai senti une colère sourde monter en moi. Après quinze ans de vie commune, il me jetait ça à la figure comme on claque une porte. J’ai pensé à ma mère, à ses paroles que je trouvais si dures quand j’étais jeune : « Claire, ne t’oublie jamais pour un homme. »

Mais je l’avais fait. J’avais tout donné à Julien : mon temps, mon énergie, mes rêves. Nous avions acheté ce petit appartement à Montreuil après la naissance de Lucie, puis Paul était arrivé deux ans plus tard. On vivait modestement, mais je croyais que nous étions heureux. Je travaillais à mi-temps dans une bibliothèque municipale pour m’occuper des enfants, pendant que Julien courait après les promotions dans son cabinet d’architectes.

— Tu as rencontré quelqu’un ? ai-je murmuré.

Il a détourné les yeux. J’ai compris sans qu’il ait besoin de répondre. Une douleur aiguë m’a traversée. Je me suis revue, il y a des années, promettant à ma mère que jamais je ne laisserais un homme me briser.

— Je suis désolé, Claire. Je n’en peux plus. J’ai besoin de vivre autre chose.

J’ai éclaté de rire, un rire nerveux et amer.

— Et les enfants ? Tu y as pensé ?

Il a haussé les épaules.

— On trouvera une solution…

Une solution ? Comme si on pouvait recoller les morceaux d’une famille avec un peu de bonne volonté et quelques signatures sur un papier.

Cette nuit-là, je n’ai pas dormi. J’ai erré dans l’appartement silencieux, regardant les dessins de Lucie accrochés au frigo, les petites chaussures de Paul dans l’entrée. Tout ce que nous avions construit ensemble semblait soudain dérisoire.

Le lendemain matin, Julien est parti tôt. Les enfants ont senti que quelque chose n’allait pas.

— Maman, pourquoi tu pleures ?

J’ai séché mes larmes et j’ai menti :

— Ce n’est rien, ma chérie. Maman est juste un peu fatiguée.

Mais Lucie n’était pas dupe. À huit ans, elle avait déjà ce regard grave qui me rappelait le mien au même âge.

Les jours suivants ont été un supplice. Julien rentrait tard ou dormait ailleurs. J’ai dû tout gérer seule : les devoirs, les repas, les crises de Paul qui ne comprenait pas pourquoi papa n’était plus là pour lui lire une histoire le soir.

Un soir, alors que je rangeais la vaisselle, ma mère m’a appelée.

— Claire, tu as l’air épuisée… Qu’est-ce qui se passe ?

J’ai craqué. Les mots sont sortis d’un coup : le divorce, la trahison, la solitude. Ma mère a soupiré longuement.

— Je t’avais prévenue… Mais tu sais, parfois il vaut mieux être seule que mal accompagnée.

Je me suis rebellée :

— Mais maman ! On a deux enfants ! Je ne peux pas juste tout laisser tomber !

— Et toi ? Tu comptes t’oublier encore combien de temps ?

Ses mots m’ont frappée en plein cœur. Toute ma vie, j’avais fait passer les autres avant moi : Julien d’abord, puis les enfants. Moi ? Je n’existais plus vraiment.

La semaine suivante, Julien est venu chercher quelques affaires. Il évitait mon regard.

— Tu vas demander la garde des enfants ?

J’ai haussé les épaules.

— Je ne sais pas encore…

Il a soupiré :

— Je ne veux pas qu’on se déchire devant eux.

J’ai explosé :

— Mais tu y as pensé avant ? Avant de tout foutre en l’air ?

Il est resté silencieux. J’ai vu ses yeux briller d’une larme qu’il a vite essuyée.

Après son départ, j’ai pris une décision : je devais penser à moi aussi. J’ai repris contact avec une ancienne amie d’université, Sophie, qui m’a invitée à sortir boire un verre dans un petit bar du 11ème arrondissement. Ça m’a fait du bien de parler d’autre chose que des enfants ou du divorce.

Petit à petit, j’ai recommencé à exister en dehors du rôle d’épouse et de mère. J’ai repris des cours de dessin le samedi matin pendant que les enfants étaient chez leur père. J’ai même envisagé de demander un poste à temps plein à la bibliothèque.

Mais chaque soir où je me retrouvais seule dans notre appartement trop grand pour moi, la douleur revenait. Les souvenirs me hantaient : les vacances en Bretagne sous la pluie, les fous rires partagés autour d’un plat de pâtes trop cuit… Tout semblait si loin maintenant.

Un soir d’automne, alors que je rangeais les jouets des enfants après leur départ chez Julien pour le week-end, Lucie est revenue sur ses pas et m’a serrée très fort dans ses bras.

— Tu sais maman… Même si papa n’est plus là tout le temps… Moi je t’aime très fort.

J’ai fondu en larmes en la serrant contre moi. Peut-être que l’amour ne disparaît jamais vraiment ; il change simplement de forme.

Aujourd’hui encore, je me demande si j’aurais pu sauver notre couple ou si c’était inévitable. Mais surtout : combien de femmes comme moi vivent dans l’ombre de leur famille sans jamais oser s’écouter ? Est-ce qu’on doit toujours se sacrifier pour les autres ou avons-nous le droit d’exister pour nous-mêmes ?