Entre la honte et l’amour : le choix d’une mère française
« Camille, je t’en supplie… laisse-moi voir les enfants. » Ma voix tremblait dans le hall d’entrée, devant la porte blanche de son appartement à Lyon. J’avais honte. Honte d’être là, à supplier mon ancienne belle-fille, alors que c’est mon propre fils, Thomas, qui avait tout gâché.
Camille me regardait avec ses yeux fatigués mais dignes. « Élisabeth, tu sais que ce n’est pas facile pour moi. Après tout ce qu’il s’est passé… Les enfants sont encore bouleversés. » Sa voix était douce mais ferme, comme toujours. J’ai senti mes jambes faiblir. Je me suis appuyée contre le mur, cherchant mes mots.
Tout a commencé il y a un an. Thomas, mon fils unique, mon fierté… Il avait tout : une femme aimante, deux enfants merveilleux, un poste stable dans une petite entreprise de la région. Mais il s’est laissé séduire par Claire, une amie célibataire de Camille. Je n’ai rien vu venir. Ou peut-être ai-je fermé les yeux ?
Je me souviens encore du jour où Camille est venue chez moi, les larmes coulant sur ses joues. « Élisabeth, il est parti. Il m’a dit qu’il ne m’aimait plus… qu’il voulait refaire sa vie avec Claire. » Je n’ai pas su quoi dire. J’ai ressenti une colère sourde contre Thomas, mais aussi une honte immense. Comment avais-je pu élever un fils capable de tant de lâcheté ?
Depuis ce jour, tout a basculé. Camille a déménagé avec les enfants dans un quartier plus modeste. Thomas s’est installé avec Claire dans un appartement moderne du centre-ville. Il voyait ses enfants un week-end sur deux, mais il était souvent en retard ou annulait au dernier moment. Les petits, Lucie et Paul, ont commencé à poser des questions : « Pourquoi papa ne vient plus ? Pourquoi il préfère être avec Claire ? » Je n’avais pas de réponses.
J’ai essayé de raisonner Thomas. Un soir, je l’ai appelé :
— Thomas, tu te rends compte de ce que tu fais subir à tes enfants ?
— Maman, arrête ! Je suis heureux maintenant. Camille ne me comprenait plus.
— Et tes enfants ? Tu penses à eux ?
Il a raccroché.
J’ai pleuré toute la nuit. J’ai pensé à partir loin, à refaire ma vie ailleurs. Mais je ne pouvais pas abandonner Lucie et Paul. Ils étaient tout ce qui me restait de cette famille brisée.
Les mois ont passé. Camille a trouvé un travail à mi-temps dans une librairie. Elle s’est battue pour offrir une vie décente à ses enfants. Je l’admirais en silence. Parfois, je lui apportais des gâteaux ou je proposais d’aller chercher les petits à l’école. Mais elle gardait ses distances.
Un dimanche matin, alors que je faisais le marché sur la place Bellecour, j’ai croisé Claire. Elle portait un manteau chic et souriait largement.
— Bonjour Élisabeth !
Je n’ai pas répondu. Mon cœur s’est serré. Comment pouvait-elle être aussi insouciante après avoir détruit une famille ?
Le soir même, j’ai reçu un message de Thomas : « Maman, arrête de voir Camille et les enfants sans me prévenir. Tu dois respecter ma nouvelle vie. » J’ai eu envie de hurler.
Mais je n’ai rien dit. J’ai continué à passer devant l’école de Lucie et Paul, espérant les apercevoir derrière la grille.
Aujourd’hui, devant la porte de Camille, je me sens vieille et inutile. Je repense à ma propre mère qui disait toujours : « On ne choisit pas sa famille, mais on choisit ce qu’on en fait. »
Camille soupire et finit par ouvrir la porte.
— Dix minutes, Élisabeth. Pas plus.
Je la remercie d’un regard mouillé.
Lucie se jette dans mes bras :
— Mamie ! Tu m’as manqué !
Paul me serre fort la main.
Je retiens mes larmes devant eux. On s’assoit sur le tapis du salon et je leur raconte des histoires d’autrefois, quand leur père était petit garçon.
Quand il est temps de partir, Lucie me demande :
— Mamie, pourquoi papa ne vient plus avec toi ?
Je caresse ses cheveux blonds.
— Parfois, les adultes font des erreurs qu’ils regrettent toute leur vie.
En sortant de l’immeuble, je croise mon reflet dans la vitrine du boulanger : une femme fatiguée mais debout.
Est-ce que j’aurais pu empêcher tout cela ? Est-ce qu’on peut aimer son enfant sans cautionner ses fautes ? Et vous… qu’auriez-vous fait à ma place ?