Entre Deux Portes : Le Poids de l’Accueil
« Tu restes encore longtemps, Maman ? »
La voix de Camille résonne dans le couloir, sèche, presque étrangère. Je serre la poignée de ma valise, la même que j’ai traînée il y a trois jours en quittant l’appartement de mon fils, après une énième dispute avec sa femme, Élodie. Je croyais trouver ici un havre de paix, mais je sens déjà que je dérange.
Je me souviens de l’arrivée : Camille m’a accueillie avec un sourire crispé, son petit garçon, Léo, m’a sauté dans les bras. J’ai cru que tout irait bien. Mais dès le lendemain, j’ai senti la tension. Le matin, Camille s’agace parce que je prépare le café à l’ancienne, « ça déborde partout, Maman ! ». À midi, elle soupire quand je propose de cuisiner : « Non, laisse, j’ai déjà prévu. »
Hier soir, alors que je rangeais la vaisselle, j’ai surpris Camille au téléphone dans le salon :
— Non mais je t’assure, elle ne comprend pas que j’ai besoin d’espace…
J’ai senti mon cœur se serrer. Je ne voulais pas être un fardeau. Mais où aller ? Chez mon fils, ce n’est plus possible. Élodie ne supporte plus mes remarques sur l’éducation des enfants ou la façon dont elle tient la maison. Je me suis sentie rejetée, incomprise.
Ce matin, Camille a claqué la porte en partant au travail. Je suis restée seule avec Léo qui m’a demandé :
— Mamie, pourquoi tu pleures ?
Je n’ai pas su quoi répondre. Comment expliquer à un enfant de six ans que même les adultes se sentent parfois de trop ?
À midi, Camille rentre déjeuner. Je tente une conversation :
— Tu sais, si je te dérange…
Elle me coupe :
— Ce n’est pas ça, Maman. Mais j’ai mon rythme, mes habitudes… Et puis tu sais que Paul (son mari) rentre tard à cause du boulot. On n’a plus beaucoup de moments à nous.
Je baisse les yeux. Je comprends. Mais je me sens seule. Depuis la mort de ton père il y a cinq ans, je me suis accrochée à mes enfants comme à des bouées. Peut-être trop fort.
Le soir venu, Paul rentre. Il me salue poliment mais file directement dans la chambre. Je sens bien qu’il n’est pas ravi de ma présence prolongée.
Après le dîner, Camille s’installe à côté de moi sur le canapé :
— Maman, tu comptes rester combien de temps ?
Je sens les larmes monter.
— Je ne sais pas… Je ne veux pas vous déranger…
Elle soupire :
— Ce n’est pas facile pour nous non plus. Tu pourrais peut-être voir si tu peux aller chez Tante Sylvie quelques jours ?
Je me sens rejetée une seconde fois. J’ai envie de crier : « Mais où est-ce que je peux aller ? » Mais je me tais. Je repense à ma propre mère qui avait fini ses jours seule dans une maison de retraite. J’avais juré que cela ne m’arriverait jamais.
La nuit est longue. J’entends Camille et Paul discuter derrière la porte fermée :
— Elle ne comprend pas qu’on a besoin d’intimité…
— Elle est perdue depuis qu’elle n’a plus ton père…
— Oui mais ce n’est pas à nous de tout porter…
Le lendemain matin, je décide d’appeler ma sœur Sylvie. Elle accepte de m’accueillir quelques jours. Avant de partir, je prends Léo dans mes bras.
— Tu vas revenir, Mamie ?
Je souris tristement :
— Bien sûr, mon chéri.
Camille m’aide à porter ma valise jusqu’à la porte. Nous restons un instant silencieuses.
— Je suis désolée si je t’ai mise mal à l’aise…
— Moi aussi… Je voulais juste être avec toi.
Elle me serre dans ses bras et murmure :
— On va trouver une solution, Maman.
Dans le train qui m’emmène chez Sylvie, je regarde défiler la campagne française et je me demande : comment en sommes-nous arrivées là ? Est-ce vraiment si difficile d’accueillir sa propre mère ? Ou bien est-ce moi qui n’arrive pas à lâcher prise ?
Et vous, que feriez-vous à ma place ? Peut-on encore trouver sa place dans la famille quand tout semble nous échapper ?