Entre deux cœurs : le jour où j’ai dû choisir entre ma mère et ma femme
« Maman, je t’en supplie… arrête. Je ne peux plus continuer comme ça. » Ma voix tremblait, mes mains serraient nerveusement les clés de notre appartement. Ma mère, Françoise, me fixait avec ce regard blessé que je connaissais trop bien, mélange de déception et d’incompréhension. Derrière moi, dans le couloir, Camille, ma femme, retenait ses larmes. C’était la troisième fois ce mois-ci que tout explosait.
Tout avait commencé il y a deux ans, quand Camille et moi avions emménagé dans ce petit trois-pièces à Montrouge. Ma mère habitait à dix minutes à pied. Au début, c’était pratique : elle venait arroser les plantes, déposer des plats cuisinés, parfois même faire un peu de ménage. Mais très vite, sa présence est devenue envahissante. Elle entrait sans prévenir, critiquait la façon dont Camille rangeait la vaisselle ou s’occupait de notre fils, Paul. « Dans mon temps, on ne laissait pas un bébé pleurer comme ça », lançait-elle en soupirant.
Camille essayait de garder son calme. Elle me disait : « Je comprends qu’elle veuille aider, mais j’ai l’impression de ne plus être chez moi. » J’essayais de temporiser, de rassurer tout le monde. Mais chaque tentative de discussion tournait au drame. Ma mère se sentait rejetée ; Camille se sentait jugée.
Un dimanche matin, alors que je préparais le petit-déjeuner, j’ai entendu des éclats de voix dans le salon. Ma mère était arrivée sans prévenir et avait trouvé Camille en pyjama, assise par terre avec Paul. « Tu ne pourrais pas t’habiller un peu ? On dirait que tu ne fais aucun effort », avait-elle lancé sèchement. Camille s’est levée d’un bond : « Françoise, c’est chez moi ici ! J’ai le droit d’être à l’aise ! »
J’ai accouru, mais il était trop tard. Les mots avaient fusé, blessants et irréparables. Ma mère avait claqué la porte en pleurant ; Camille s’était enfermée dans la chambre avec Paul.
Ce soir-là, Camille m’a regardé droit dans les yeux : « Antoine, je t’aime, mais je ne peux plus vivre comme ça. Il faut que tu choisisses : ta mère ou ta famille. » J’ai senti mon cœur se briser. Comment choisir ? Je devais tout à ma mère : elle m’avait élevé seule après le départ de mon père, sacrifiant tout pour moi. Mais aujourd’hui, c’était moi qui devais protéger ma propre famille.
J’ai passé la nuit à tourner en rond dans le salon, les souvenirs d’enfance se mêlant aux cris du jour. Le lendemain matin, j’ai appelé ma mère : « Maman, il faut qu’on parle. »
Nous nous sommes retrouvés au café du coin. Elle avait les yeux rougis par les larmes. « Tu me mets dehors ? Après tout ce que j’ai fait pour toi ? »
« Non, maman… Je t’aime. Mais tu dois comprendre que Camille et moi avons besoin d’intimité. Ce n’est plus chez toi ici. »
Elle a éclaté : « Tu préfères cette fille à ta propre mère ? »
Je me suis levé, la gorge serrée : « Je préfère ma famille. Et ma famille aujourd’hui, c’est Camille et Paul. »
Le soir même, je suis rentré avec la boule au ventre. J’ai tendu la main vers ma mère : « Maman… Je suis désolé. Mais il faut que tu me rendes les clés de l’appartement. »
Elle a hésité un instant puis a sorti le trousseau de son sac à main et l’a posé sur la table sans un mot. Elle est partie sans se retourner.
Camille m’a pris dans ses bras en silence. Nous avons pleuré ensemble longtemps.
Les semaines suivantes ont été difficiles. Ma mère ne répondait plus à mes appels ; elle refusait de voir Paul. Je me sentais coupable à chaque instant — coupable d’avoir blessé celle qui m’avait tout donné, coupable d’avoir attendu si longtemps avant de défendre ma femme.
Petit à petit, les choses se sont apaisées entre Camille et moi. Notre foyer est redevenu paisible ; Paul riait à nouveau sans être interrompu par des remarques acerbes. Mais un vide restait là, lancinant.
Un jour, alors que je déposais Paul à la crèche, j’ai croisé ma mère devant la boulangerie. Elle m’a regardé sans sourire : « Tu as fait ton choix… J’espère que tu ne le regretteras pas un jour. »
Ce soir-là, j’ai longuement réfléchi en regardant Camille endormie à côté de moi. Avais-je eu raison ? Pouvais-je vraiment être un bon fils et un bon mari à la fois ? Ou bien fallait-il forcément sacrifier une part de soi pour protéger l’autre ?
Et vous… qu’auriez-vous fait à ma place ? Peut-on aimer sans blesser ceux qu’on aime ?