Deux ans après avoir épousé un divorcé, je demande le divorce : la fille de mon mari bouleverse notre vie dans notre studio parisien
« Elle arrive demain. »
La voix de François résonne dans la cuisine exiguë, brisant le silence du petit matin. Je serre ma tasse de café, les jointures blanchies. « Tu plaisantes ? » Ma voix tremble, entre colère et incrédulité. « Léa n’a nulle part où aller, Camille. Elle a été acceptée à la Sorbonne, tu te rends compte ? On ne peut pas la laisser tomber. »
Je me tais. Je regarde autour de moi : les murs du studio semblent se rapprocher, comme pour m’étouffer. Vingt-sept mètres carrés pour trois adultes, dont une adolescente que je connais à peine. Je me revois, il y a deux ans, pleine d’espoir en épousant François. Il venait de divorcer d’Isabelle, il portait ses blessures avec pudeur et honnêteté. J’avais cru que sa transparence était une promesse de stabilité.
Mais la réalité parisienne est cruelle. Les loyers sont exorbitants, les espaces minuscules. Nous avions fait des sacrifices pour ce studio lumineux du onzième arrondissement, persuadés qu’il serait notre cocon. Je n’avais pas prévu d’y partager ma vie avec une inconnue.
Le lendemain, Léa arrive. Dix-huit ans à peine, des yeux fatigués par l’angoisse du bac et le divorce de ses parents. Elle traîne une valise cabossée et un sac à dos trop lourd. François l’enlace longuement. Moi, je souris poliment. « Bienvenue chez nous », je murmure, sans y croire.
Rapidement, la cohabitation vire au cauchemar. Léa occupe le canapé-lit ; nos affaires s’entassent dans des cartons jamais ouverts ; la salle de bains devient un champ de bataille pour quelques minutes d’intimité. Les disputes éclatent pour des broutilles : une serviette mouillée sur le radiateur, des miettes sur la table, la musique trop forte le soir.
Un soir, alors que je tente de travailler sur mon ordinateur portable posé sur la table basse, Léa s’installe à côté de moi et soupire : « Tu peux baisser la lumière ? J’ai mal à la tête… » Je ravale ma frustration. François me lance un regard suppliant : « Elle est stressée par ses partiels… »
Je me sens étrangère dans mon propre foyer. Mes habitudes disparaissent, mes repères s’effondrent. Je n’ose plus inviter mes amies ; je fuis les soirées à la maison ; je m’invente des réunions tardives pour éviter de rentrer trop tôt.
Un soir d’automne, alors que la pluie tambourine contre les vitres, j’explose :
— François, ce n’est plus possible ! On étouffe tous ici !
— Tu veux que je mette ma fille dehors ?
— Non… Mais tu aurais pu m’en parler avant ! On aurait pu trouver une solution ensemble !
Il détourne les yeux. Je comprends qu’il ne m’a jamais vraiment consultée. Sa culpabilité de père divorcé l’a poussé à tout accepter pour Léa, quitte à me sacrifier.
Les semaines passent et la tension monte. Léa pleure souvent le soir ; François s’enferme dans le mutisme ; moi, je me sens invisible. Un matin, je découvre que mon carnet de croquis a disparu. Je le retrouve dans le sac de Léa, griffonné de notes et de dessins maladroits.
— Pourquoi tu as pris ça ?
— Je voulais juste essayer…
Je m’effondre en larmes. Ce n’est pas le carnet qui me manque, c’est l’espace vital, l’intimité, la sensation d’exister.
Un dimanche matin, alors que François prépare du café, je prends ma décision :
— Je ne peux plus continuer comme ça.
— Camille…
— J’ai besoin de respirer. De penser à moi aussi.
Il ne dit rien. Il sait que c’est fini.
Quelques semaines plus tard, je dépose la demande de divorce au tribunal de Paris. Je quitte le studio avec une valise et mes carnets sous le bras. Dans la rue animée du quartier Oberkampf, je respire enfin à pleins poumons.
Mais chaque soir, en rentrant dans ma nouvelle chambre de bonne sous les toits, je repense à cette famille éclatée par les choix impossibles imposés par la vie parisienne.
Est-ce égoïste d’avoir voulu préserver mon espace ? Ou bien est-ce normal de refuser de s’effacer pour les enfants des autres ? Qu’auriez-vous fait à ma place ?