Cinq ans de silence : quand l’argent divise la famille
« Tu ne vas quand même pas leur réclamer, hein ? » La voix de Paul résonne dans la cuisine, tranchante, presque suppliante. Je serre la tasse de café entre mes mains, cherchant un peu de chaleur dans ce matin glacial de février. Les mots de ma mère résonnent aussi dans ma tête : « Ce n’est pas une question d’argent, c’est une question de respect. »
Cinq ans plus tôt, j’étais enceinte de sept mois. Paul et moi venions d’emménager dans notre petit appartement à Nantes. Nous avions mis de côté chaque euro, renoncé à des vacances, à des sorties, pour préparer l’arrivée de notre fille. Un matin, le téléphone a sonné. C’était mon beau-père, Gérard. Sa voix tremblait : « On a eu un dégât des eaux à la maison de Pornic. Tout est fichu… On n’a pas les moyens de réparer tout ça maintenant. »
Paul a raccroché, les yeux brillants d’inquiétude. « Ils n’osent pas demander, mais ils ont besoin d’aide. » J’ai hésité. Cet argent, c’était notre sécurité. Mais comment refuser à ses parents ?
Quelques jours plus tard, nous leur avons prêté 12 000 euros. Ma mère, Lucie, l’a appris par hasard. Elle a blêmi : « Tu donnes tout ce que tu as mis de côté ? Et si tu en avais besoin ? » J’ai haussé les épaules, tentant de me convaincre que c’était temporaire.
Les mois ont passé. Notre fille, Camille, est née. Les factures aussi. Paul a perdu son emploi pendant le confinement. Je suis retournée travailler plus tôt que prévu. Les économies ont fondu comme neige au soleil.
De l’autre côté, mes beaux-parents profitaient de leur maison refaite à neuf. Sur Facebook, je voyais les photos : apéros sur la terrasse, cousins réunis autour du barbecue. Jamais un mot sur la dette.
Un soir d’été, alors que Camille dormait enfin, j’ai craqué :
— Paul, tu crois qu’ils vont nous rembourser un jour ?
Il a soupiré :
— Ils font ce qu’ils peuvent…
— Mais ils partent en vacances !
Il s’est levé brusquement :
— Tu veux que je leur demande ? Tu veux que je passe pour le fils ingrat ?
J’ai ravivé la discussion avec ma mère. Elle n’a pas mâché ses mots :
— Ce n’est pas normal. Ils profitent de ta gentillesse. Tu dois te faire respecter.
Depuis cinq ans, le sujet plane comme un nuage noir au-dessus des repas de famille. À chaque Noël chez mes beaux-parents, je me sens étrangère dans leur salon lumineux, assise sur le canapé qu’ils ont pu s’offrir grâce à notre argent.
L’an dernier, Paul a retrouvé du travail. Nous avons recommencé à respirer un peu. Mais la rancœur est restée tapie dans l’ombre.
Hier soir, tout a explosé.
Nous étions invités chez mes parents pour fêter l’anniversaire de Lucie. Au dessert, elle a lancé :
— Alors, ils t’ont remboursé ?
Paul a rougi :
— Non… et on ne leur demandera plus.
Ma mère a posé sa fourchette avec fracas :
— C’est facile quand ce n’est pas ton argent !
Paul s’est levé :
— Ça suffit ! Ce sont mes parents ! On va tourner la page.
Lucie s’est tournée vers moi :
— Et toi ? Tu acceptes ça ? Tu laisses passer ?
J’ai senti tous les regards sur moi. Mon cœur battait si fort que j’avais du mal à respirer.
Après le dîner, Paul m’a prise à part dans la voiture.
— Je t’en supplie… Pardonne-leur. On ne va pas se déchirer pour de l’argent.
J’ai éclaté en sanglots :
— Ce n’est pas juste… J’ai l’impression qu’on m’a volée deux fois : une fois l’argent, une fois la confiance.
Il m’a serrée contre lui.
Aujourd’hui encore, je ne sais pas quoi faire. Pardonner et oublier ? Ou réclamer ce qui m’appartient ?
Je me demande : combien de familles se sont brisées pour une histoire d’argent ? Est-ce que je dois choisir entre ma dignité et la paix familiale ? Qu’auriez-vous fait à ma place ?