Ce que ma fille m’a caché : le secret d’Anaïs

— Maman, il faut que je te parle. C’est urgent.

La voix d’Anaïs tremblait au téléphone. Il était 22h17, un mardi soir de novembre, la pluie battait contre les vitres du salon. Je me suis levée d’un bond, le cœur battant. Depuis qu’elle avait quitté la maison pour ses études à Lyon, nos conversations étaient rares et souvent superficielles. Mais là, il y avait quelque chose de grave.

Quand elle est arrivée, trempée, les yeux rougis, j’ai su que rien ne serait plus comme avant. Elle s’est effondrée dans mes bras, sanglotant comme une enfant. J’ai caressé ses cheveux, cherchant à la rassurer sans comprendre.

— Je suis enceinte, maman.

Le silence s’est abattu sur la pièce. Mon souffle s’est suspendu. Anaïs ? Enceinte ? Ma fille qui, depuis le lycée Voltaire, répétait à qui voulait l’entendre : « Les enfants, ce n’est pas pour moi. Je veux voyager, être libre… »

Je me suis assise en face d’elle, tentant de masquer mon trouble.

— Tu es sûre ?

Elle a hoché la tête, les larmes coulant sur ses joues pâles. J’ai voulu la prendre dans mes bras mais elle s’est reculée.

— Je ne sais pas quoi faire… Je ne voulais pas… Mais maintenant…

J’ai senti une douleur sourde monter en moi. Un mélange de peur, d’incompréhension et — je l’avoue — une pointe d’espoir égoïste. Moi qui avais tant rêvé d’être grand-mère…

— Qui est le père ?

Elle a baissé les yeux. Un silence lourd a envahi la pièce.

— C’est… c’est Monsieur Laurent.

J’ai cru m’évanouir. Monsieur Laurent ? Son professeur de philosophie au lycée ? Il avait presque mon âge !

— Anaïs… Tu plaisantes ?

Elle a secoué la tête.

— C’est arrivé après le bac… On s’est revus par hasard à une conférence. On a discuté, bu un verre… Je ne sais pas comment c’est arrivé. Je n’ai rien contrôlé.

Je me suis levée brusquement, furieuse.

— Mais il t’a manipulée ! Il aurait pu être ton père !

Elle a éclaté en sanglots.

— Non ! Ce n’était pas comme ça… Je l’aimais bien, il m’écoutait… Je me sentais comprise avec lui, pas jugée comme avec les garçons de mon âge.

Je me suis assise, désemparée. Toute ma vie, j’avais essayé d’être une mère ouverte, compréhensive. Mais là…

Les jours suivants ont été un tourbillon d’émotions. Anaïs restait prostrée dans sa chambre d’ado, celle qu’elle avait quittée cinq ans plus tôt en jurant qu’elle ne reviendrait jamais vivre ici. Je l’entendais pleurer la nuit. J’essayais de lui parler mais elle se refermait.

Mon mari, Philippe, a appris la nouvelle par hasard en entendant une dispute entre nous deux. Il est devenu livide.

— Ce type va payer pour ce qu’il a fait à notre fille !

Mais Anaïs refusait toute idée de plainte ou de scandale.

— Je ne veux pas qu’on parle de moi dans tout le quartier ! Je veux juste qu’on m’aide à décider…

Les semaines ont passé. Anaïs oscillait entre garder l’enfant ou avorter. Elle me suppliait de l’aider à choisir.

— Maman, je t’en supplie… Dis-moi quoi faire !

Mais comment décider pour elle ? Comment imposer mon rêve de grand-mère à ma fille qui n’a jamais voulu d’enfant ?

Un soir de décembre, alors que la neige commençait à tomber sur les toits de notre petite ville du Jura, Anaïs est venue s’asseoir près de moi sur le canapé.

— Tu m’en veux ?

J’ai pris sa main dans la mienne.

— Non, ma chérie. Mais j’ai peur pour toi. Peur que tu regrettes un choix fait trop vite… ou pas assez réfléchi.

Elle a souri tristement.

— J’ai toujours cru que je savais ce que je voulais. Mais là… je me sens perdue. Et puis… si je garde ce bébé, comment je vais faire ? J’ai peur du regard des autres, peur d’être une mauvaise mère…

Je l’ai serrée contre moi. J’aurais voulu lui transmettre toute la force du monde.

Quelques jours plus tard, Monsieur Laurent a appelé. Il voulait parler à Anaïs. Elle a accepté de le voir au café du coin. Quand elle est revenue, elle était blanche comme un linge.

— Il veut reconnaître l’enfant si je décide de le garder… Mais il ne veut pas qu’on vive ensemble. Il dit qu’il n’est pas prêt à être père à son âge.

J’ai senti la colère monter en moi mais je me suis tue. Ce n’était pas à moi de juger.

Finalement, après des semaines d’hésitation et de discussions douloureuses — parfois violentes — Anaïs a décidé de garder l’enfant. Elle a repris ses études à distance et s’est installée chez nous pour préparer l’arrivée du bébé.

La grossesse n’a pas été facile : nausées, fatigue, angoisses… Mais peu à peu, j’ai vu ma fille changer. Elle parlait à son ventre le soir, caressait doucement sa peau tendue. Parfois elle pleurait encore mais il y avait aussi des sourires nouveaux sur son visage.

Le jour où elle a accouché — une petite fille prénommée Camille — j’ai pleuré comme jamais. Anaïs m’a prise dans ses bras :

— Merci maman… Sans toi je n’y serais jamais arrivée.

Aujourd’hui Camille a six mois. Anaïs est une mère attentive et aimante même si parfois le doute revient la hanter. Monsieur Laurent vient voir sa fille de temps en temps mais reste distant.

Parfois je me demande : ai-je bien fait de ne pas influencer sa décision ? Peut-on vraiment choisir pour ses enfants ce qui est bon pour eux ? Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ?