Aujourd’hui, j’ai mis mon fils et ma belle-fille à la porte : Suis-je une mauvaise mère ou ai-je enfin choisi ma liberté ?

« Tu ne peux pas nous faire ça, maman ! » La voix de Paul résonne encore dans le salon, entre les murs qui ont vu grandir tant de souvenirs, mais aussi tant de frustrations. Je serre la poignée de la porte, mes mains tremblent. Camille, sa femme, me regarde avec des yeux pleins de larmes et d’incompréhension. Je n’arrive pas à soutenir son regard.

Depuis des années, je vis avec eux dans ce trois-pièces du quartier Monplaisir à Lyon. Au début, c’était temporaire : « Juste le temps qu’on trouve un boulot stable, maman », m’avait promis Paul. Mais les mois sont devenus des années. Les disputes se sont multipliées, les reproches aussi. Je me suis retrouvée à marcher sur la pointe des pieds chez moi, à éviter la cuisine quand Camille y préparait son café, à supporter les éclats de voix derrière la porte de leur chambre.

Je me souviens encore du jour où Paul est revenu vivre ici. Il venait de perdre son emploi dans une petite start-up du centre-ville. Camille était enceinte de leur premier enfant, mais la grossesse n’a pas tenu. Depuis, une ombre s’est installée entre eux… et entre nous tous. J’ai tout fait pour les soutenir : je gardais le silence, je payais les factures, je cuisinais pour trois alors que je n’avais plus d’appétit.

Mais ce matin-là, tout a explosé. Paul s’est énervé parce que j’avais déplacé ses affaires dans le salon pour passer l’aspirateur. Camille a crié qu’elle en avait assez de vivre « chez belle-maman ». Et moi… moi, j’ai senti une colère sourde monter en moi, un mélange d’épuisement et de tristesse. « Ça suffit ! » ai-je crié, ma voix plus forte que je ne l’aurais cru possible. « Je ne suis pas votre bonne, ni votre hôtel ! Vous avez trente ans passés, il est temps de prendre votre envol ! »

Le silence qui a suivi était assourdissant. Paul m’a regardée comme si je venais de le trahir. Camille a rassemblé ses affaires en pleurant. J’ai voulu leur dire que je les aimais, que ce n’était pas contre eux… Mais aucun mot ne sortait.

Ils sont partis en claquant la porte. J’ai entendu leurs pas dans l’escalier, puis plus rien. Le vide s’est installé dans l’appartement, un vide glacial mais aussi… apaisant ? Pour la première fois depuis des années, j’ai pu m’asseoir dans mon propre salon sans avoir peur de déranger quelqu’un.

Mais la culpabilité me ronge. Suis-je une mauvaise mère ? En France, on dit souvent que la famille doit rester soudée coûte que coûte. Mais à quel prix ? J’ai sacrifié mes économies pour eux, mes nuits pour calmer leurs disputes, mes rêves pour leur offrir un toit. Et aujourd’hui, c’est moi qu’on accuse d’égoïsme ?

Je repense à mon enfance à Saint-Étienne. Ma mère aussi s’est oubliée pour nous. Elle n’a jamais osé dire non à mon père ou à ses enfants. Elle est morte fatiguée, usée par les autres. Je m’étais juré de ne pas finir comme elle…

Le téléphone sonne. C’est ma sœur, Isabelle :
— Tu as vraiment mis Paul dehors ?
— Oui… Je n’en pouvais plus.
— Tu sais qu’il n’a nulle part où aller ?
— Il est adulte, Isa. Il doit apprendre à se débrouiller.

Elle soupire. Je sens son jugement à travers le combiné.

Le soir venu, je prépare un repas pour une seule personne. Je regarde la table vide et les souvenirs affluent : les anniversaires de Paul enfant, les Noëls où il courait autour du sapin… Où est passé ce garçon plein de vie ? Qu’ai-je raté ?

Je reçois un message de Paul : « Tu nous as abandonnés. » Mon cœur se serre. Je voudrais lui répondre que non, que je l’aime plus que tout… Mais je ne sais plus comment lui parler sans qu’il m’en veuille.

La nuit tombe sur Lyon. Je m’assieds au bord de la fenêtre et regarde les lumières de la ville s’allumer une à une. Pour la première fois depuis longtemps, je me demande ce que je veux vraiment pour moi-même.

Est-ce mal d’avoir choisi ma paix ? Est-ce égoïste de vouloir enfin penser à moi après tant d’années ? Ou bien est-ce le seul moyen de survivre sans se perdre complètement ?

Et vous… qu’auriez-vous fait à ma place ? Est-ce qu’on peut être une bonne mère tout en se choisissant soi-même ?