Après le départ de papa, j’ai mis ma belle-mère à la porte : ai-je eu tort ?

« Tu n’as pas le droit ! » La voix de ma tante Sylvie résonne encore dans le couloir, tranchante, alors que je referme la porte derrière moi. Je reste là, dos contre le bois froid, le cœur battant à tout rompre. Je viens de demander à Hélène, ma belle-mère, de quitter la maison. Notre maison. Celle que papa avait achetée avec maman, bien avant qu’Hélène n’entre dans nos vies.

Tout a basculé il y a trois semaines, quand papa est parti d’un infarctus, sans prévenir. J’ai eu l’impression qu’on m’arrachait une partie de moi-même. Les jours suivants ont été un tourbillon : les papiers, les condoléances, les regards gênés des voisins. Mais ce qui me hantait le plus, c’était la présence d’Hélène dans la maison. Elle se promenait dans le salon en chaussons, préparait du café dans la cuisine où maman avait l’habitude de chanter en faisant la vaisselle. Chaque geste d’Hélène me rappelait que maman n’était plus là, et que papa venait de partir lui aussi.

Je n’ai jamais vraiment accepté Hélène. Elle est arrivée dans notre vie quand j’avais quinze ans, après que maman soit morte d’un cancer. Papa disait qu’il avait besoin de tourner la page, qu’il ne voulait pas finir seul. Mais moi, je voyais surtout une étrangère qui prenait la place de maman. Même si elle a toujours essayé d’être gentille avec moi, je n’ai jamais pu l’appeler « maman ».

Le soir où tout a explosé, j’étais assis dans la cuisine, devant une tasse de thé froid. Hélène est entrée, les yeux rougis par les larmes. « Je vais essayer de faire au mieux pour toi », a-t-elle murmuré. J’ai senti la colère monter en moi.

— Ce n’est pas chez toi ici, Hélène. C’est chez papa… et maman.

Elle a blêmi. « Je sais que tu souffres, mais… »

— Non ! Tu ne comprends pas ! Tu n’as jamais compris !

J’ai claqué ma tasse sur la table. Les mots sont sortis tout seuls :

— Je veux que tu partes.

Un silence lourd s’est installé. Elle a hoché la tête, sans un mot de plus. Le lendemain matin, elle avait rangé ses affaires dans deux valises et m’a laissé un mot sur la table : « Je te souhaite de trouver la paix. »

Depuis, c’est le déluge. Ma tante Sylvie m’appelle tous les jours pour me dire que je suis cruel, que papa aurait eu honte de moi. Mon cousin Julien m’a envoyé un message : « Tu t’es cru dans un film ? » Même mon petit frère Lucas, qui vit chez sa mère à Lyon, m’a écrit : « T’abuses… »

Mais personne ne comprend ce que je ressens. Cette maison est tout ce qu’il me reste de mes parents. J’ai l’impression qu’Hélène efface leurs souvenirs à chaque fois qu’elle ouvre un placard ou allume une lampe. Est-ce égoïste de vouloir garder ce lieu pour moi ?

Je me souviens du jour où papa a présenté Hélène à la famille. Tout le monde souriait, faisait semblant d’être heureux pour lui. Mais moi, j’avais envie de hurler. J’ai gardé tout ça en moi pendant des années. Aujourd’hui, c’est comme si tout explosait d’un coup.

Hier soir, j’ai retrouvé une vieille photo dans le grenier : papa et maman devant la maison, bras dessus bras dessous, le sourire éclatant. J’ai pleuré comme un enfant.

Je me demande si j’ai vraiment agi par justice ou par vengeance. Est-ce que j’ai voulu protéger la mémoire de mes parents… ou simplement punir Hélène pour avoir pris une place qui ne lui revenait pas ?

Je repense à ses mots avant de partir : « Je te souhaite de trouver la paix. » Peut-être qu’elle aussi cherchait sa place dans cette famille brisée.

Et vous, à ma place… qu’auriez-vous fait ? Est-ce qu’on peut vraiment tourner la page sans blesser ceux qui restent ?