Une semaine sans sommeil a brisé mon mari : ma mère dit qu’il était déjà perdu

« Tu comptes rentrer un jour, Paul ? » Ma voix tremble dans le silence du salon, alors que Camille, ma fille de trois ans, s’est endormie sur mes genoux après une nouvelle crise de larmes. Je fixe l’écran noir de mon téléphone, espérant un message, un signe, n’importe quoi. Mais rien. Depuis huit jours, Paul a disparu de notre quotidien, parti chez ses parents à Angers sans un mot d’explication. Il n’a même pas appelé pour demander des nouvelles de Camille.

La première nuit sans lui, j’ai cru à une dispute de plus. On s’était encore accrochés à propos de la fatigue, du boulot, de la maison en désordre. Mais au fil des jours, le silence s’est épaissi comme une brume glaciale. Je dors à peine, je mange mal. Les cernes sous mes yeux sont devenues mon miroir quotidien.

Ma mère passe parfois, déposant des plats réchauffés et des conseils acides. « Tu sais, Paul n’a jamais été très solide. Il était déjà brisé quand tu l’as rencontré », souffle-t-elle en rangeant la vaisselle. Je serre les dents. Elle ne comprend pas. Paul n’était pas comme ça avant. Il riait fort, il chantait dans la cuisine en préparant des crêpes le dimanche matin. Où est passé cet homme ?

Camille réclame son père chaque soir. « Papa est où ? » demande-t-elle en serrant son doudou contre elle. Je lui mens : « Il travaille beaucoup, ma chérie. » Mais même elle sent que quelque chose cloche. Elle fait des cauchemars, se réveille en hurlant. Je passe mes nuits à la bercer, à lui murmurer des chansons que je ne supporte plus d’entendre.

Hier soir, j’ai craqué. J’ai appelé Paul, encore et encore. Messagerie. J’ai envoyé des SMS : « Camille te réclame », « On a besoin de toi », « Tu comptes rentrer ? » Rien. J’ai fini par pleurer dans la salle de bain, le visage enfoui dans une serviette pour étouffer mes sanglots.

Ce matin, ma mère est revenue avec ses jugements tout faits. « Tu devrais penser à toi maintenant. Paul n’a jamais su gérer la pression. Il fuit dès que ça devient difficile. » Je lui ai répondu sèchement : « Ce n’est pas si simple, maman. » Mais au fond, je commence à douter.

Je repense à ces derniers mois : Paul rentrait tard du travail à la mairie, les traits tirés, les épaules voûtées. Il ne parlait plus de ses collègues ni de ses projets de randonnée dans les Alpes. Il s’asseyait devant la télé sans même regarder l’écran. Parfois, il restait des heures dans la salle de bain, la porte fermée à clé.

Un soir, il m’a avoué : « Je dors mal depuis des semaines. J’ai l’impression d’étouffer ici… » Je n’ai pas su quoi répondre. Moi aussi je me sentais dépassée par le quotidien, mais je croyais qu’on était deux à se soutenir.

La veille de son départ, on s’est disputés violemment. Il a crié : « Tu ne comprends rien ! J’ai besoin d’air ! » Puis il a claqué la porte et n’est jamais revenu.

Depuis, je revis chaque détail de cette soirée en boucle. Aurais-je dû insister ? L’écouter davantage ? Ou bien était-il déjà trop tard ?

Les voisins commencent à poser des questions : « Tout va bien chez vous ? On ne voit plus Paul… » Je souris faiblement et change de sujet.

Camille a fait pipi au lit cette nuit. J’ai changé les draps en silence, le cœur serré. Elle m’a regardée avec ses grands yeux fatigués : « Papa va revenir ? »

Je n’ai pas eu la force de mentir cette fois-ci.

Ce soir, j’écris ces lignes pendant que Camille dort enfin paisiblement après une longue promenade au parc Montsouris. J’entends encore les mots de ma mère résonner : « Il était déjà brisé… » Mais je refuse d’accepter cette fatalité.

Paul, si tu lis ce message quelque part : est-ce qu’on peut vraiment se réparer ensemble ? Ou bien faut-il accepter que certains morceaux ne se recollent jamais ?

Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ? Peut-on sauver quelqu’un qui ne veut plus être sauvé ?