Entre Deux Mères : Mon Combat pour Ma Place
— Tu ne devrais pas manger ça, Sandra, ce n’est pas bon pour le bébé !
La voix de Françoise résonne dans la cuisine, tranchante comme un couteau. Je serre la fourchette dans ma main, hésitant entre la colère et la lassitude. Depuis trois semaines, ma belle-mère a posé ses valises chez nous, soi-disant pour « aider » pendant ma grossesse. Mais chaque jour, je me sens un peu plus étrangère dans ma propre maison.
Je m’appelle Sandra, j’ai trente-deux ans, et j’attends mon premier enfant avec Antoine. Nous vivons à Lyon, dans un appartement lumineux du 7e arrondissement. Avant l’arrivée de Françoise, notre vie était douce, ponctuée de rires et de projets. Mais depuis qu’elle est là, tout a changé.
Ce matin encore, alors que je tentais de savourer un croissant en paix, elle s’est assise en face de moi, les bras croisés :
— Tu sais, dans notre famille, on ne mangeait jamais autant de sucre pendant une grossesse. Ma mère disait toujours que ça rendait les enfants nerveux.
J’ai souri poliment, mais à l’intérieur, je bouillonnais. Pourquoi chaque geste, chaque bouchée, chaque respiration devait-elle être commentée ?
Antoine, lui, fuit le conflit. Il part plus tôt au travail, rentre plus tard. Quand je lui en parle le soir, il soupire :
— Elle veut juste t’aider, tu sais… Elle s’inquiète pour toi.
Mais ce n’est pas de l’aide. C’est une invasion. Je n’ose plus m’habiller comme je veux — la dernière fois que j’ai mis une robe moulante, Françoise a levé les yeux au ciel :
— Tu n’as pas peur d’attraper froid avec ça ?
Je me sens jugée en permanence. Même dans la salle de bain, elle frappe à la porte :
— Tu es sûre que tu ne restes pas trop longtemps sous l’eau chaude ? Ce n’est pas bon pour la circulation !
Je me surprends à marcher sur la pointe des pieds dans mon propre appartement. Je n’ose plus inviter mes amies à la maison. J’ai l’impression d’étouffer.
Un soir, alors qu’Antoine est encore au travail, je craque. Je m’effondre sur le canapé, les larmes coulant sans retenue. Françoise entre dans le salon et s’arrête net.
— Sandra… Qu’est-ce qui ne va pas ?
Je voudrais lui hurler que c’est elle qui ne va pas ! Mais je ravale mes mots. Je me contente de secouer la tête.
— Rien… Je suis juste fatiguée.
Elle s’assied à côté de moi et pose sa main sur mon épaule. Son geste se veut réconfortant mais je me raidis.
— Tu sais, quand j’étais enceinte d’Antoine, j’aurais aimé avoir ma mère près de moi… J’essaie juste de faire ce que je peux.
Je la regarde enfin. Derrière ses remarques et ses critiques se cache peut-être une peur, une solitude que je n’avais pas vue. Mais cela n’excuse pas tout.
Le lendemain matin, je prends mon courage à deux mains. Antoine est là, assis à table avec sa mère. Je m’assois face à eux.
— J’aimerais qu’on parle tous les trois.
Antoine relève la tête, surpris. Françoise pose sa tasse de café.
— Je sais que tu veux bien faire, Françoise. Mais j’ai besoin d’espace. J’ai besoin de me sentir chez moi… et d’apprendre à être mère à ma façon. J’aimerais qu’on trouve un équilibre.
Un silence pesant s’installe. Antoine me regarde avec reconnaissance — ou est-ce du soulagement ? Françoise semble déstabilisée.
— Je ne voulais pas te blesser…
— Je le sais. Mais parfois, trop d’aide devient une pression.
Nous convenons qu’elle passera plus de temps chez sa sœur à Villeurbanne et viendra nous voir quelques après-midis par semaine. Ce n’est pas parfait mais c’est un début.
Les jours suivants sont étranges : l’appartement semble plus grand, plus calme. Je respire mieux. Antoine et moi retrouvons nos habitudes. Mais une part de moi culpabilise : ai-je été trop dure ? Aurais-je dû supporter davantage ?
Un soir, alors que je caresse mon ventre rond en pensant à l’avenir, je me demande :
« Est-ce qu’on peut vraiment poser des limites sans blesser ceux qu’on aime ? Où commence le respect de soi et où finit l’égoïsme ? »
Et vous… Qu’auriez-vous fait à ma place ?