Quand la famille se fissure : Le silence de mon fils
« Tu comprends, maman, c’est compliqué… » La voix de Thomas tremble à l’autre bout du fil. Je serre le combiné si fort que mes jointures blanchissent. Il n’ose pas me regarder dans les yeux, même à travers la caméra du téléphone. Je sens déjà la tempête arriver.
« Compliqué ? Thomas, tu avais promis de venir ce week-end. J’ai préparé ton plat préféré, j’ai même acheté ce vin que tu aimes tant… » Ma voix se brise. Je sens la colère monter, mais surtout une tristesse immense.
Il hésite. Puis il murmure : « Camille préfère qu’on reste à la maison. Elle dit que… que tu veux toujours quelque chose de moi. Que si je prends des jours de congé, c’est pour être avec ma famille… immédiate. »
Le mot claque comme une gifle. Immédiate. Comme si je n’étais plus sa famille. Comme si, du jour au lendemain, j’étais devenue une étrangère.
Je raccroche sans un mot. Je reste là, dans la cuisine, entourée d’odeurs familières qui ne servent plus à rien. Le silence me tombe dessus comme une chape de plomb.
Je repense à tout ce que j’ai fait pour lui : les nuits blanches quand il avait de la fièvre, les goûters d’anniversaire où je courais partout pour qu’il soit heureux, les années à l’aider dans ses devoirs… Et aujourd’hui, il ne vient pas parce que sa femme n’aime pas ma maison ? Parce qu’elle pense que je lui demande trop ?
Le lendemain, je croise mon amie Françoise au marché. Elle voit tout de suite que quelque chose ne va pas.
— Hélène, tu as une mine affreuse ! Qu’est-ce qui se passe ?
Je craque. Les larmes coulent sans que je puisse les retenir.
— Thomas ne vient plus… C’est Camille qui décide tout maintenant. Elle dit que je suis trop exigeante, que je veux toujours quelque chose de lui…
Françoise soupire :
— Les belles-filles… Ce n’est jamais simple. Mais tu sais, parfois il faut savoir lâcher prise. Laisse-le venir à toi.
Mais comment lâcher prise quand on sent son enfant s’éloigner ? Comment accepter d’être reléguée au second plan ?
Le soir même, je reçois un message de Thomas : « Désolé maman. On viendra une autre fois. »
Aucune date. Aucune promesse réelle.
Je décide d’appeler Camille. Je prends mon courage à deux mains.
— Camille, j’aimerais comprendre ce qui ne va pas. Est-ce que j’ai fait quelque chose qui t’a blessée ?
Un silence gênant s’installe.
— Non Hélène… Ce n’est pas toi, c’est juste… On a besoin de temps pour nous. Et puis… ta maison est un peu sombre, ça me met mal à l’aise.
Je reste sans voix. Ma maison sombre ? C’est ici que Thomas a grandi, qu’il a ri, qu’il a pleuré…
— Tu sais, Camille, je ne veux pas vous déranger. Mais Thomas me manque. J’aimerais juste le voir de temps en temps.
Elle soupire :
— On verra.
Je raccroche en tremblant. J’ai l’impression d’être jugée pour tout ce que je suis : ma maison, ma façon d’aimer, ma présence même.
Les jours passent et rien ne change. Je vois sur les réseaux sociaux des photos de Thomas et Camille en balade au parc de la Tête d’Or avec leurs enfants. Sans moi.
Je me demande si j’ai été trop présente, trop envahissante. Est-ce que j’ai étouffé Thomas sans m’en rendre compte ? Ou bien est-ce Camille qui veut tout contrôler ?
Un dimanche matin, alors que je range les affaires de Thomas dans sa vieille chambre, je tombe sur un dessin qu’il avait fait à huit ans : « Pour maman, la meilleure du monde ». Je m’effondre sur le lit.
Le soir venu, je décide d’écrire une lettre à Thomas :
« Mon chéri,
Je ne veux pas être un poids pour toi ni pour Camille. Mais sache que tu me manques terriblement. Je comprends que ta vie ait changé et que tu aies ta propre famille maintenant. Mais moi aussi j’ai besoin de toi parfois. J’espère qu’un jour tu comprendras combien il est difficile pour une mère d’accepter ce silence.
Je t’aime,
Maman »
Je ne sais pas s’il répondra. Mais au moins j’aurai dit ce que j’avais sur le cœur.
Parfois je me demande : est-ce vraiment ça, être mère en France aujourd’hui ? Voir ses enfants partir et accepter d’être mise à l’écart ? Où est la frontière entre aimer et envahir ? Peut-on encore trouver sa place quand tout change autour de soi ?