Pourquoi j’ai accepté de garder mon petit-fils – et pourquoi je ne le referai jamais

« Maman, je t’en supplie, il n’y a que toi… » La voix de Camille tremble à l’autre bout du fil. Il est 6h30 du matin, je n’ai pas encore bu mon café, et déjà, je sens la tempête arriver. « Paul est malade, la crèche ne veut pas de lui, et je dois absolument aller au bureau. Tu peux venir ? »

Je regarde la photo de mon mari défunt sur la commode. Il aurait su quoi dire, lui. Mais moi, je me sens prise au piège. Je suis à la retraite, certes, mais je n’ai pas signé pour être la roue de secours permanente. Pourtant, je dis oui. Comme toujours. Parce que je suis la mère, la grand-mère, celle qui doit sauver la situation.

À 7h30, je suis devant chez Camille, le cœur serré. Elle m’ouvre à peine la porte, déjà en train de courir après son sac. « Merci maman, t’es un ange ! » Elle m’embrasse à la va-vite, me laisse Paul dans les bras, fiévreux, grognon, et disparaît dans l’ascenseur. Je reste seule, dans ce salon qui n’est pas le mien, avec un petit garçon qui pleure, réclame sa mère, et refuse de manger.

Les heures s’étirent. Paul vomit sur mon pull, pleure dès que je tente de le poser, refuse le sirop. Je me sens impuissante, dépassée. Je repense à mes propres enfants, à l’époque où je jonglais entre le travail, la maison, les devoirs. Mais j’avais vingt ans de moins, et surtout, j’avais mon mari pour m’épauler. Aujourd’hui, je suis seule, fatiguée, et j’ai l’impression de ne plus être à la hauteur.

À midi, Camille m’envoie un message : « Je vais rentrer tard, réunion de crise. Tu peux rester jusqu’à 20h ? » Je soupire. Je n’ai pas le choix. Je me fais un café, j’essaie de calmer Paul avec des comptines, mais il s’endort à peine que le téléphone sonne : c’est mon fils, Julien. « Dis, maman, tu pourrais passer chez moi ce week-end pour garder les filles ? On a un dîner important avec Sophie… »

Je sens la colère monter. Suis-je devenue une baby-sitter gratuite ? Où est passée la reconnaissance ?

À 19h45, Camille rentre enfin. Elle ne remarque même pas mes cernes, ni la fatigue sur mon visage. « Merci maman, tu gères ! » Elle attrape Paul, me tend mon manteau, et me pousse presque vers la porte. Pas un mot de plus. Pas un regard. Je rentre chez moi, en larmes.

Le lendemain, je reçois un message de Camille : « Paul va mieux, merci encore. Tu pourrais le garder demain si jamais il ne peut pas retourner à la crèche ? »

Je ne réponds pas. Je m’assois dans mon salon, entourée de silence. Je repense à toutes ces fois où j’ai dit oui, où j’ai annulé mes propres rendez-vous, où j’ai mis de côté mes envies, mes besoins. Pour eux. Toujours pour eux.

Je me souviens de ma propre mère, qui me disait : « Il faut savoir dire non, ma fille. » Je ne l’ai jamais écoutée. J’ai voulu être la mère parfaite, la grand-mère idéale. Mais à quel prix ?

Le soir, Camille m’appelle. « Maman, pourquoi tu ne réponds pas ? J’ai besoin de toi, tu le sais bien… » Sa voix est sèche, presque accusatrice. Je sens les larmes monter. « Et moi, Camille ? Tu as pensé à moi ? À ma fatigue, à ma solitude ? » Silence. Elle ne comprend pas. Elle ne veut pas comprendre.

Le lendemain, je décide de ne pas répondre. Je coupe mon téléphone. Je vais au cinéma seule, je m’offre un déjeuner en terrasse, je lis un livre. Pour la première fois depuis longtemps, je pense à moi.

Le soir, je trouve un message de Julien : « Maman, t’es fâchée ? On compte sur toi, tu sais… »

Je réalise alors que j’ai élevé mes enfants dans l’idée que leur mère serait toujours là, quoi qu’il arrive. Que je n’avais pas de limites, pas de besoins propres. J’ai voulu être indispensable, et je me suis perdue.

Quelques jours plus tard, Camille vient me voir. Elle est énervée. « Tu pourrais prévenir quand tu ne veux pas aider ! On a tous des vies compliquées, maman ! »

Je la regarde, et pour la première fois, je lui dis non. Non, je ne peux pas toujours être disponible. Non, je ne suis pas une solution de secours. Non, je ne veux plus m’oublier pour eux.

Elle claque la porte. Je pleure. Mais au fond de moi, je sens une étrange paix. Peut-être qu’il est temps de penser à moi. Peut-être qu’il est temps d’apprendre à dire non, même à ceux qu’on aime plus que tout.

Ai-je échoué comme mère, comme grand-mère ? Ou bien est-ce normal de poser des limites, même dans l’amour ? Et vous, jusqu’où iriez-vous pour vos enfants et petits-enfants ?