Entre deux générations : le choix de Camille
« Mais enfin, Sophie, une poupée Corolle, c’est ce qu’il y a de plus beau pour une petite fille ! » La voix de ma mère résonne dans le salon, tranchante, presque blessée par mon refus. Je serre les dents. Camille, ma fille de huit ans, observe la scène, ses yeux noisette oscillant entre moi et sa grand-mère. Elle tient contre elle son livre préféré, un roman d’aventure où l’héroïne grimpe aux arbres et rêve de devenir astronaute.
« Maman, Camille t’a dit qu’elle préférait des Lego ou un microscope… »
Ma belle-mère, assise sur le canapé, intervient à son tour : « À notre époque, on ne demandait pas l’avis des enfants. On savait ce qui était bon pour eux. »
Je sens la colère monter. Pourquoi est-ce si difficile pour elles de comprendre ? Pourquoi leurs souvenirs d’enfance doivent-ils peser plus lourd que les désirs de ma fille ?
Camille baisse la tête. Je vois ses petites mains se crisper sur son livre. Je m’agenouille à sa hauteur :
— Tu veux leur dire toi-même ce que tu aimerais ?
Elle hoche la tête timidement. Ma mère soupire, déjà agacée.
— J’aimerais… un kit pour faire des expériences scientifiques, murmure Camille.
Un silence gênant s’installe. Ma belle-mère lève les yeux au ciel. Ma mère tente un sourire crispé : « Mais tu es une fille, ma chérie… Les poupées, c’est plus joli dans ta chambre ! »
Je sens mon cœur se serrer. Je repense à mon enfance, à toutes ces fois où j’ai dû ravaler mes envies pour ne pas décevoir. Est-ce que l’histoire va se répéter ?
Le lendemain matin, je retrouve Camille dans sa chambre. Elle aligne ses livres sur l’étagère, range soigneusement ses feutres.
— Tu es triste ?
Elle hausse les épaules.
— Pourquoi mamie ne veut pas écouter ?
Je n’ai pas de réponse simple. Je m’assieds à côté d’elle.
— Parfois, les adultes pensent bien faire… Ils oublient d’écouter vraiment.
Elle me regarde avec sérieux :
— Mais moi, j’aimerais qu’on m’écoute.
Ses mots me frappent en plein cœur. Je décide d’agir.
Le dimanche suivant, nous sommes invités chez mes parents pour le déjeuner. L’ambiance est tendue. Ma mère a préparé son fameux gratin dauphinois, mais je sens qu’elle attend le moment où elle pourra offrir son cadeau à Camille.
Après le dessert, elle tend un paquet soigneusement emballé à ma fille. Camille hésite, puis déballe lentement… une poupée Corolle, encore.
Je vois la déception sur son visage. Elle murmure un « merci » poli, puis pose la poupée sur la table.
— Tu n’es pas contente ? demande ma mère, visiblement vexée.
Camille baisse les yeux :
— J’aurais préféré un microscope…
Ma mère se tourne vers moi :
— Tu lui mets des idées bizarres dans la tête ! À force de vouloir tout changer…
Je sens la colère monter. Je me lève.
— Ce n’est pas moi qui décide pour elle. C’est Camille qui sait ce qu’elle aime ! Pourquoi est-ce si difficile à accepter ?
Ma belle-mère intervient :
— Les traditions, ça compte ! On ne va pas tout jeter parce qu’une enfant veut jouer au scientifique !
Je prends une grande inspiration.
— Les traditions n’ont de valeur que si elles rendent heureux ceux qui les vivent. Sinon, ce ne sont que des chaînes.
Un silence lourd s’abat sur la pièce. Mon père tente de détendre l’atmosphère :
— Allez, on va prendre le café…
Mais le malaise reste palpable.
Le soir venu, en rentrant chez nous, Camille me serre fort la main.
— Tu crois qu’un jour elles comprendront ?
Je caresse ses cheveux.
— Peut-être… Mais ce qui compte, c’est que toi tu sois fière de ce que tu aimes.
Cette nuit-là, je repense à tout ce qui s’est passé. À toutes ces familles françaises où les générations s’affrontent autour de valeurs et de désirs différents. Pourquoi est-ce si difficile d’écouter les enfants ? Pourquoi tant d’adultes pensent-ils encore que respecter un enfant, c’est le gâter ?
Quelques jours plus tard, je reçois un message inattendu de ma mère : « J’ai vu un kit d’expériences scientifiques en vitrine… Tu crois que ça plairait à Camille ? »
Mon cœur se serre d’émotion. Peut-être qu’un dialogue est possible après tout… Peut-être que le respect commence par un simple pas vers l’autre.
Et vous, pensez-vous qu’il est possible de réconcilier traditions et désirs individuels dans nos familles ? Faut-il toujours suivre ce que veulent les enfants ou bien préserver les coutumes coûte que coûte ?