Pourquoi suis-je toujours celle qui doit plier ? – Ma vie de belle-fille chez ma belle-mère
« Camille ! Tu as encore oublié de repasser la chemise de Julien ! » La voix de Monique résonne dans le couloir, tranchante comme une lame. Je serre les poings, la gorge nouée. Il est 7h du matin, et déjà, je sens le poids de la journée m’écraser. Julien, mon mari, descend l’escalier sans un mot, évitant mon regard. Je voudrais lui crier : « Dis-lui que tu peux repasser toi-même ! », mais je me tais. Depuis trois ans que nous vivons chez sa mère, je me suis peu à peu effacée.
Tout a commencé après la naissance de notre fils, Lucas. Julien a perdu son emploi à la SNCF, et Monique nous a proposé d’emménager chez elle à Tours « le temps de se retourner ». J’y ai vu une main tendue, un soutien familial. Mais très vite, j’ai compris que j’étais devenue l’invitée indésirable, tolérée à condition d’être utile.
« Camille, tu pourrais faire un effort pour la cuisine… Ici, on mange à midi pile ! »
« Camille, tu as vu la poussière sur la commode ? »
« Camille, tu ne sais pas t’occuper d’un bébé… »
Chaque remarque est une gifle. Je me surprends à surveiller chacun de mes gestes. Monique a ses habitudes : le café doit être prêt à 8h15, les rideaux tirés avant 9h. Si j’oublie, elle soupire bruyamment ou me lance ce regard qui me fait sentir plus petite qu’une souris.
Julien ? Il fuit les conflits. « Tu sais comment est maman… Elle veut juste aider. » Mais je ne vois aucune aide dans ses critiques ou ses ordres. Je me sens seule, étrangère dans cette maison qui n’est pas la mienne.
Un soir, alors que je berce Lucas qui pleure, Monique entre sans frapper :
— Donne-le-moi, tu ne sais pas le calmer.
Je serre mon fils contre moi.
— Non merci, il va s’endormir.
Elle insiste, arrache presque Lucas de mes bras. Je retiens mes larmes. Julien arrive, voit la scène et détourne les yeux. Je voudrais hurler : « Défends-moi ! » Mais il ne dit rien.
Les jours passent et se ressemblent. Je fais tourner la maison comme une horloge suisse : lessives, repas, ménage… Monique trouve toujours à redire. Un jour, elle invite ses amies du club de bridge. Je prépare des petits-fours toute la matinée. À leur arrivée, elle déclare :
— C’est moi qui ai tout fait !
Je ravale ma fierté et souris poliment.
La nuit, je pleure en silence. Je rêve d’un appartement à nous, d’un espace où je pourrais respirer sans avoir peur de décevoir. Mais Julien ne cherche plus vraiment de travail. Il s’est habitué au confort du foyer maternel.
Un dimanche midi, alors que nous sommes tous à table, Monique lance :
— Camille, tu pourrais au moins remercier d’avoir un toit sur la tête !
Je sens la colère monter.
— Merci Monique… mais parfois j’aimerais juste être traitée comme une adulte.
Un silence glacial s’abat sur la pièce. Julien baisse la tête. Monique me fusille du regard.
Après le repas, je m’enferme dans la salle de bains et regarde mon reflet : cernes, fatigue, tristesse. Où est passée la Camille joyeuse d’avant ?
Quelques semaines plus tard, Lucas tombe malade. Je veux l’emmener chez le médecin mais Monique insiste :
— Ce n’est qu’un rhume ! Tu exagères toujours.
Je tiens bon et file chez le pédiatre malgré ses protestations. Le médecin diagnostique une bronchiolite sévère. Je rentre bouleversée.
Julien me prend dans ses bras pour la première fois depuis des mois.
— Tu as eu raison…
Mais le soir même, Monique recommence :
— Si tu avais écouté mon expérience…
Je n’en peux plus.
Un soir d’avril, alors que tout le monde dort, je fais ma valise en silence. Je prends Lucas dans mes bras et descends l’escalier. Mon cœur bat à tout rompre. Arrivée sur le seuil, Julien m’attend.
— Tu vas où ?
— J’ai besoin de respirer…
Il hésite puis murmure :
— Je viens avec toi.
Nous partons dans la nuit vers un petit hôtel du centre-ville. Pour la première fois depuis longtemps, je sens une lueur d’espoir.
Aujourd’hui encore, je me demande : combien de femmes vivent ce que j’ai vécu ? Pourquoi doit-on toujours plier devant les attentes des autres ? Est-ce vraiment ça, l’amour familial ?