Entre la Foi et le Silence : Mon Combat pour Ma Mère et Ma Famille
« Tu ne peux pas continuer comme ça, Camille ! » La voix de François résonne dans la cuisine, tranchante comme le froid qui s’infiltre par la fenêtre mal fermée. Je serre la tasse de thé brûlant entre mes mains tremblantes. Ma mère, allongée dans la chambre d’amis, tousse faiblement. Depuis qu’elle est tombée malade, tout s’est effondré autour de moi.
« Je fais ce que je peux, François… Elle a besoin de moi. » Ma voix n’est qu’un souffle, presque inaudible. Il soupire, lasse, et s’appuie contre le plan de travail. « Et moi alors ? Et les enfants ? Tu passes tes nuits à veiller sur elle, tu oublies tout le reste… Ce n’est pas ça, une famille. »
Je voudrais hurler que je n’ai pas le choix, que c’est ma mère, que je ne peux pas l’abandonner. Mais les mots restent coincés dans ma gorge. Je me sens coupable, déchirée entre deux mondes qui s’opposent : celui de mon enfance, où maman était mon pilier, et celui que j’ai construit avec François et nos deux filles, Élodie et Manon.
La maladie de maman est arrivée sans prévenir. Un matin de novembre, elle a perdu connaissance dans sa cuisine à Lyon. Depuis, elle vit chez nous à Clermont-Ferrand. Les médecins parlent d’une maladie dégénérative ; ils ne savent pas combien de temps il lui reste. Chaque soir, je m’assieds à son chevet, je lui lis des passages de son vieux missel, je prie avec elle. C’est notre rituel, notre bouée dans la tempête.
Mais François ne comprend pas. Il dit que je m’oublie, que je me perds dans une foi qui ne résoudra rien. Il ne croit plus depuis longtemps. « La prière ne va pas la guérir, Camille. Tu dois accepter la réalité. »
Un soir, alors que je change la perfusion de maman, elle me prend la main : « Ma chérie… Ne te perds pas pour moi. Ta famille a besoin de toi aussi. » Je sens ses doigts osseux trembler dans les miens. Je voudrais lui promettre que tout ira bien, mais je n’en sais rien.
Les jours passent et la tension monte à la maison. Élodie fait des cauchemars ; Manon refuse de manger à table si mamie est là. François s’éloigne un peu plus chaque soir, prétextant du travail ou une réunion tardive au club de tennis.
Un dimanche matin, alors que je prépare le petit-déjeuner, François explose : « C’est elle ou nous ! Je ne peux plus vivre comme ça ! » Les filles se figent. Je sens mon cœur se briser en mille morceaux.
Je m’enferme dans la salle de bains et laisse couler les larmes que je retiens depuis des semaines. Je prie, encore et encore : « Seigneur, donne-moi la force… Montre-moi le chemin… »
Ce soir-là, je prends une décision. J’appelle ma sœur, Sophie, à Paris. Elle pleure au téléphone : « Je suis désolée de t’avoir laissée tout porter… Je viens demain. »
Quand Sophie arrive, c’est comme si un poids immense quittait mes épaules. Nous partageons les soins de maman ; je retrouve un peu d’espace pour mes filles et pour François. Mais rien n’est réglé pour autant.
Un soir d’avril, alors que maman dort paisiblement et que les filles sont couchées, François me prend la main : « Je t’aime Camille… Mais j’ai peur de te perdre. Tu t’es enfermée dans ta douleur et ta foi… Et moi ? Où suis-je dans tout ça ? »
Je le regarde longtemps sans trouver les mots. Je réalise alors combien j’ai négligé notre couple, aveuglée par la peur de perdre ma mère.
Nous décidons d’aller voir un conseiller conjugal à la paroisse du quartier. Le père Laurent nous écoute sans juger ; il nous encourage à parler vrai, à exprimer nos peurs sans honte.
Peu à peu, je comprends que ma foi n’est pas un refuge pour fuir mes responsabilités mais une source de force pour les affronter. J’apprends à demander de l’aide – à François, à Sophie, à mes amis du groupe de prière.
Maman s’éteint un matin de juin, paisible, entourée de ceux qu’elle aime. Je pleure longtemps mais je ne me sens plus seule.
Aujourd’hui encore, il m’arrive de douter : ai-je fait les bons choix ? Ai-je su aimer assez fort ? Mais une chose est sûre : sans la foi et sans ceux qui m’ont tendu la main, je n’aurais jamais tenu.
Et vous… Jusqu’où iriez-vous par amour pour votre famille ? La foi peut-elle vraiment nous sauver quand tout s’effondre ?