Quatre ans de silence : le jour où j’ai osé demander de l’aide
— Tu comptes rentrer tard encore ce soir ?
La question m’a échappé, acide, alors que François enfilait sa veste. Il a levé les yeux au ciel, soupirant comme si c’était moi le problème. Quatre ans que je supporte tout : le loyer, les courses, même les factures de son téléphone. Quatre ans à espérer qu’il se réveille, qu’il comprenne que la vie à deux, ce n’est pas juste partager un lit.
Je me souviens du premier soir où il a dormi chez moi. Il venait de divorcer, il avait l’air perdu, fragile. J’ai cru que je pouvais le réparer. Il m’a parlé de son fils, Lucas, qu’il voyait un week-end sur deux. Il m’a dit qu’il voulait repartir à zéro. J’ai voulu y croire. Mais repartir à zéro, pour lui, c’était surtout recommencer à zéro… sans rien assumer.
Au début, je me disais que c’était temporaire. Il avait perdu confiance en lui, il fallait du temps. Mais les mois ont passé. Il a retrouvé un boulot dans une petite agence immobilière à Nanterre. Je pensais que ça changerait tout. Mais non : « Je dois rembourser mes dettes », « J’aide mes parents », « J’ai des frais pour Lucas »… Toujours une bonne raison pour ne rien mettre dans le pot commun.
Ma mère me disait : « Tu n’es pas sa mère, tu es sa femme ! » Mais comment expliquer à ma famille que j’avais honte ? Honte d’avoir choisi un homme qui ne me soutenait pas. Honte de devoir emprunter à ma sœur pour payer la taxe d’habitation.
Un soir, alors que je rentrais du travail — épuisée après dix heures debout à la pharmacie — j’ai trouvé François affalé sur le canapé, la télé allumée sur un match de foot. Les restes du dîner de la veille traînaient encore sur la table basse.
— Tu pourrais au moins débarrasser…
Il a haussé les épaules :
— J’ai eu une grosse journée.
J’ai senti la colère monter. Mais je n’ai rien dit. Comme d’habitude. J’ai pris sur moi, encore.
Le lendemain matin, en ouvrant mon relevé bancaire, j’ai vu le solde négatif. Encore. J’ai éclaté en sanglots dans la salle de bains. Je me suis regardée dans le miroir : cernes, traits tirés… Où était passée la jeune femme pleine d’espoir qui croyait au grand amour ?
Ce soir-là, j’ai décidé que ça suffisait. J’ai attendu que François rentre. Il est arrivé tard, comme souvent.
— On doit parler.
Il a levé un sourcil, agacé :
— Encore ?
— Oui, encore. Je n’en peux plus, François. Je paie tout depuis quatre ans. Tu ne participes à rien !
Il a tenté de se défendre :
— Tu sais bien que je fais ce que je peux…
— Non ! Tu ne fais pas ce que tu peux. Tu fais ce qui t’arrange !
Il s’est levé brusquement :
— Tu crois que c’est facile pour moi ? J’ai des responsabilités ! Lucas compte sur moi !
— Et moi alors ? Moi aussi j’existe ! Tu crois que c’est facile de tout porter seule ?
Il s’est tu. Pour la première fois depuis longtemps, il n’avait rien à répondre.
Les jours suivants ont été tendus. Il boudait, parlait à peine. Mais je n’ai pas cédé. J’ai fait les comptes devant lui, posé les factures sur la table.
— Si tu veux qu’on continue ensemble, il faut que tu participes. Sinon…
Je n’ai pas fini ma phrase. Mais il a compris.
Le lendemain, il m’a tendu une enveloppe avec quelques billets.
— Ce n’est pas grand-chose… mais je vais essayer de faire mieux.
J’ai pris l’enveloppe sans rien dire. Ce n’était pas assez, mais c’était un début.
Ce soir-là, seule dans notre chambre, j’ai repensé à tout ce que j’avais accepté par peur d’être seule. À toutes ces femmes qui portent leur couple à bout de bras en silence. Pourquoi est-ce toujours à nous de sacrifier nos rêves et notre dignité ?
Est-ce que l’amour vaut vraiment tous ces compromis ? Ou bien faut-il parfois savoir dire stop pour se retrouver soi-même ?