Quand mon fils m’a dit qu’il voulait partir : le cri silencieux d’une mère
« Je veux aller vivre chez Papa. Je t’aime plus, Maman. »
La phrase a claqué dans l’air comme une gifle. Paul, mon petit garçon de six ans, les joues rouges de colère, me fixait avec une détermination qui ne lui ressemblait pas. Nous étions dans la cuisine, la lumière jaune du plafonnier dessinant des ombres sur les murs. Je venais de lui demander de ranger ses jouets avant le dîner. Rien d’extraordinaire, rien qui aurait dû déclencher ce séisme.
Je suis restée figée, la main serrée sur le torchon, incapable de répondre. Mon cœur battait à tout rompre. Comment un enfant si doux pouvait-il prononcer ces mots ?
« Paul… pourquoi tu dis ça ? » Ma voix tremblait malgré moi.
Il a haussé les épaules, détourné le regard. « Chez Papa, il me laisse jouer à la console. Il crie pas tout le temps. »
J’ai senti les larmes me monter aux yeux. Depuis notre séparation avec Antoine, son père, il y a deux ans, je fais tout pour que Paul ne manque de rien. Mais je sais que je suis fatiguée, tendue, parfois injuste. La vie à Paris n’est pas facile : les horaires de l’école, mon boulot à la mairie du 12e, les courses, les devoirs…
Antoine, lui, s’est installé à Lyon avec sa nouvelle compagne, Camille. Il ne voit Paul qu’un week-end sur deux et pendant les vacances scolaires. Là-bas, tout est plus simple : pas d’école à gérer, pas de stress du quotidien. Il lui offre des cadeaux, des sorties au parc de la Tête d’Or, des crêpes au goûter…
Je me suis assise en face de Paul. « Tu sais, mon chéri, Papa et moi t’aimons très fort tous les deux. Mais tu vis ici parce que c’est ton école, tes copains… »
Il a tapé du pied sous la table. « Je veux plus rester ici ! »
J’ai craqué. Les larmes ont coulé sans que je puisse les retenir. « Tu sais ce que tu me fais là ? Tu me brises le cœur… »
Paul s’est tu. Il m’a regardée avec des yeux ronds, comme s’il découvrait soudain que ses mots pouvaient faire mal.
Cette nuit-là, je n’ai pas dormi. J’ai repensé à tout : à notre séparation houleuse avec Antoine, à nos disputes devant Paul malgré nos efforts pour l’épargner. À mes cris parfois quand je rentre épuisée du travail et qu’il refuse d’aller au bain. À mes promesses non tenues d’aller au cinéma ou au parc parce que je dois finir un dossier urgent.
Le lendemain matin, j’ai appelé ma mère. Elle habite à Tours mais elle est toujours là quand ça va mal.
« Tu sais, Claire », m’a-t-elle dit doucement, « il est petit. Il teste tes limites. Il veut voir jusqu’où il peut aller… Mais il t’aime, c’est sûr. »
Je voulais la croire mais la douleur restait vive.
J’ai aussi appelé Antoine. Sa voix était froide au téléphone.
« Écoute Claire, si Paul veut venir vivre ici quelques temps… On peut en discuter. »
J’ai senti la panique monter. « Non ! Il est trop jeune pour changer de vie comme ça ! »
Antoine a soupiré : « Peut-être qu’il a besoin d’autre chose… Tu devrais te remettre en question aussi. »
Ses mots m’ont blessée mais ils ont planté une graine de doute en moi.
Le soir même, j’ai décidé de parler à Paul autrement.
Je me suis assise sur son lit alors qu’il jouait avec ses petites voitures.
« Tu sais mon cœur… Je comprends que tu sois en colère contre moi parfois. Moi aussi je suis fatiguée et je fais des erreurs. Mais tu sais quoi ? Même quand tu me dis que tu ne m’aimes plus… Moi je t’aime toujours aussi fort. »
Il a baissé la tête sans répondre.
« Est-ce que tu veux qu’on fasse quelque chose ensemble ce week-end ? Ce que tu veux… »
Il a murmuré : « Aller voir les bateaux sur la Seine ? »
J’ai souri à travers mes larmes : « D’accord mon amour. »
Les jours suivants ont été difficiles. Paul était distant, boudeur. À l’école, sa maîtresse m’a appelée : « Il est moins concentré en classe… Il parle beaucoup de son papa en ce moment. »
J’ai pris rendez-vous avec une psychologue scolaire. Elle m’a reçue dans son petit bureau encombré de dessins d’enfants.
« Ce que vit Paul est très courant après une séparation », m’a-t-elle expliqué. « Il exprime sa tristesse et sa colère comme il peut… Il a besoin d’être rassuré sur votre amour à tous les deux et sur la stabilité de sa vie ici. »
J’ai compris alors que je devais arrêter de culpabiliser et essayer d’écouter vraiment ce que Paul voulait dire derrière ses mots blessants.
Petit à petit, j’ai changé ma façon de faire : moins de cris, plus d’écoute, plus de moments rien qu’à nous même si ce n’était qu’un quart d’heure avant le coucher pour lire une histoire ou parler de sa journée.
Un soir, alors que je rangeais la cuisine, Paul est venu me voir en pyjama.
« Maman… Tu sais… Je t’aime quand même beaucoup… Même si parfois je veux aller chez Papa… »
Je l’ai serré fort contre moi.
Aujourd’hui encore, il y a des hauts et des bas. Parfois il me répète qu’il veut partir chez son père quand il est fâché ou triste. Mais j’essaie de ne plus le prendre comme un rejet définitif mais comme un appel à l’aide.
Je me demande souvent : comment font les autres parents séparés pour ne pas se sentir coupables ? Est-ce qu’on peut vraiment protéger nos enfants de nos propres failles ? Et vous… avez-vous déjà vécu ce genre de tempête dans votre famille ?