Quand la nuit tombe sur Montreuil : Ma foi face à la maladie de Claire

« Non, Claire, reste avec moi ! » Ma voix tremblait, résonnant contre les carreaux froids de notre petite cuisine à Montreuil. Elle venait de s’effondrer, sa main serrant le rebord de la table avant de glisser au sol. Les légumes roulaient sur le carrelage, mais tout ce que je voyais, c’était son visage pâle, ses yeux mi-clos.

Je n’avais jamais eu aussi peur. Le SAMU est arrivé en dix minutes, mais chaque seconde me paraissait une éternité. Je me souviens avoir murmuré, presque sans y croire : « Mon Dieu, faites qu’elle tienne… » C’était la première prière sincère que j’adressais depuis des années.

À l’hôpital André Grégoire, les néons blafards et l’odeur d’antiseptique m’ont accueilli comme un mauvais rêve. Claire a été emmenée en soins intensifs. Je suis resté seul dans la salle d’attente, entouré d’autres visages fermés, chacun perdu dans sa propre angoisse. J’ai envoyé un message à ma sœur, Sophie : « Claire est à l’hôpital. Je ne sais pas quoi faire. » Elle a répondu aussitôt : « Je prie pour vous. »

C’est là que tout a commencé. La nuit suivante, incapable de dormir sur le fauteuil raide, j’ai fermé les yeux et j’ai parlé à Dieu. Pas avec des mots appris au catéchisme, mais avec mes tripes : « Si tu existes, aide-moi à ne pas sombrer. Donne-moi la force pour Claire et pour nos enfants. »

Le lendemain matin, le médecin est venu me voir. Il s’appelait Dr. Lefèvre, un homme sec mais compatissant. « Votre femme a fait un AVC massif. Les prochaines 48 heures seront décisives. » J’ai senti mes jambes flancher. J’ai pensé à nos enfants – Lucie, 12 ans, et Paul, 8 ans – qui dormaient chez ma belle-mère sans comprendre pourquoi maman n’était pas rentrée.

Les jours suivants ont été une succession de montagnes russes émotionnelles. Lucie m’a demandé : « Papa, est-ce que maman va mourir ? » J’ai menti : « Non, ma chérie. Elle est forte. » Mais le soir, seul dans notre chambre vide, je pleurais en silence.

C’est alors que j’ai commencé à prier chaque soir. Pas pour un miracle – je n’y croyais pas vraiment – mais pour tenir debout, pour ne pas céder à la panique ou à la colère contre l’injustice de la vie. J’ai retrouvé un vieux chapelet dans le tiroir de Claire et je l’ai serré si fort que mes jointures blanchissaient.

Un soir, alors que je rentrais de l’hôpital, j’ai croisé notre voisine, Madame Dubois. Elle m’a pris dans ses bras sans un mot et m’a dit : « Je prierai pour Claire ce soir à l’église Saint-Pierre. Venez si vous voulez. » J’y suis allé, poussé par une force étrange. L’église était presque vide ; quelques bougies vacillaient devant la statue de la Vierge. J’ai murmuré : « Aide-moi à ne pas haïr cette épreuve. Donne-moi la patience d’attendre. »

Les semaines ont passé. Claire est sortie du coma mais ne parlait plus ; son regard semblait perdu dans un autre monde. Les médecins parlaient de rééducation longue et incertaine. Ma belle-mère m’a reproché de ne pas avoir vu les signes avant-coureurs : « Tu travailles trop ! Tu n’as rien vu venir ! » J’ai encaissé ses reproches sans répondre ; au fond de moi, je me les adressais déjà.

Un soir d’avril, alors que je lisais une histoire à Paul, il m’a demandé : « Papa, pourquoi Dieu laisse maman malade ? » Je n’ai pas su quoi répondre. J’ai juste dit : « Je ne sais pas, mon grand… Mais on peut lui demander de nous aider à être courageux. » Nous avons prié ensemble pour la première fois.

Peu à peu, j’ai compris que la prière n’était pas une baguette magique mais un refuge ; un espace où déposer mes peurs et ma colère sans être jugé. J’ai rencontré d’autres familles à l’hôpital qui vivaient le même cauchemar ; certains priaient aussi, d’autres non. Mais tous cherchaient un sens à ce qui leur arrivait.

Un matin de mai, Claire a prononcé son premier mot depuis des semaines : « Lucie… » J’ai éclaté en sanglots devant elle et les enfants. Ce fut le début d’un lent retour à la vie – séances de kiné douloureuses, progrès minuscules mais réels.

Aujourd’hui encore, rien n’est gagné. Claire marche difficilement et sa mémoire lui joue des tours. Mais chaque soir, nous nous tenons la main autour de la table et nous remercions pour ce que nous avons encore : l’amour, la famille, l’espoir.

Je me demande souvent : qu’aurais-je fait sans cette foi retrouvée ? Sans ces prières murmurées dans le noir ? Est-ce que d’autres ont déjà ressenti cette force étrange qui vous relève quand tout semble perdu ?