Mon mari, cet éternel enfant, veut tout quitter pour la campagne

— Camille, tu ne comprends pas ! Ici, on respire, on vit vraiment !

La voix de Julien résonne encore dans la petite cuisine de mes parents, saturée de l’odeur du café du matin. Je serre ma tasse si fort que mes jointures blanchissent. Il a ce regard d’enfant émerveillé, comme s’il venait de découvrir un trésor caché dans le jardin. Je me retiens de lui rappeler qu’il n’a jamais su planter une tomate sans la noyer.

Tout a commencé ce week-end-là. J’avais accepté à contrecœur d’emmener Julien à Saint-Rémy-sur-Loire, mon village natal. Mes parents, Monique et Gérard, vivent toujours dans la maison où j’ai grandi. Je pensais que Julien s’ennuierait vite, lui qui ne supporte pas de rester loin du tumulte parisien plus de deux jours. Mais il s’est passé tout le contraire.

Dès notre arrivée, il s’est mis à courir après les poules du voisin, à discuter avec le boulanger comme s’ils étaient amis d’enfance. Il a même proposé à mon père de l’aider à réparer la vieille clôture du potager. Je l’observais, incrédule, alors qu’il riait aux éclats sous le soleil de mai.

— Tu vois, Camille ? Ici, les gens prennent le temps de vivre. On n’est pas pressés par le métro ou les mails !

Je n’ai rien répondu. J’avais l’impression d’être étrangère dans ma propre famille. Ma mère me lançait des regards entendus, comme si elle attendait que je cède enfin à la tentation de revenir au bercail.

Le soir, alors que nous étions seuls dans la chambre d’amis, Julien m’a pris la main.

— Et si on s’installait ici ? On pourrait acheter une petite maison, cultiver notre jardin… Tu pourrais télétravailler !

J’ai éclaté de rire, pensant qu’il plaisantait. Mais son visage est resté grave.

— Tu es sérieux ?
— Plus que jamais.

C’est là que tout a basculé. Depuis ce week-end, Julien ne parle plus que de ça. Il m’envoie des annonces immobilières de maisons à rénover, des vidéos de « retour à la terre », des recettes de confitures maison. Il a même commencé à prendre des cours de jardinage en ligne.

Au début, j’ai cru à une lubie passagère. Après tout, Julien a toujours eu ce côté rêveur, un peu enfantin. Mais plus les semaines passent, plus son obsession grandit. Il me reproche mon attachement à Paris, à mon travail d’architecte, à mes amis.

— Tu refuses d’avancer, Camille ! Tu as peur du changement !

Ses mots me blessent plus qu’il ne l’imagine. Ce qu’il ne comprend pas, c’est que la campagne n’a jamais été un refuge pour moi. C’est là que j’ai connu l’ennui, les disputes entre mes parents, les regards pesants des voisins. C’est là que j’ai juré de partir pour ne jamais revenir.

Un soir, après une énième dispute sur le sujet, je suis allée marcher seule sur les quais de Seine. Les lumières de la ville se reflétaient sur l’eau noire. J’ai repensé à mon enfance : les dimanches mornes devant la télé, les repas silencieux où chacun ruminait ses regrets. J’ai fui tout ça pour me construire une vie à moi.

Mais Julien ne voit que le charme des marchés du samedi matin et des apéros sous la tonnelle. Il ne comprend pas que pour moi, retourner là-bas serait un retour en arrière.

Les tensions montent entre nous. Il devient irritable, boude quand je refuse d’en parler. Un soir, il claque la porte après avoir crié :

— Tu préfères ta carrière à notre bonheur !

Je reste seule dans le salon, les larmes aux yeux. Est-ce vraiment égoïste de vouloir rester ici ? Ou est-ce lui qui fuit ses propres responsabilités en rêvant d’une vie simple ?

Mes parents s’en mêlent aussi. Ma mère m’appelle :

— Tu sais, Camille, la vie à Paris n’est pas faite pour tout le monde… Tu pourrais être heureuse ici.

Je sens la pression monter. Même mes amis commencent à me dire que « la campagne, c’est tendance », qu’ils envient ceux qui osent franchir le pas.

Mais personne ne voit ce que je ressens vraiment : cette peur viscérale de perdre ce que j’ai construit, cette angoisse de redevenir la petite fille coincée entre des murs trop étroits.

Un samedi matin, Julien débarque avec un plan :

— J’ai trouvé une maison parfaite ! On va la visiter ce week-end !

Je n’en peux plus. Je hurle :

— Et moi ? Tu as pensé à moi ? À ce que je veux ?

Il me regarde comme si je venais de le gifler.

— Je croyais qu’on était une équipe…

Le silence s’installe entre nous comme un mur infranchissable.

Je me demande alors : peut-on vraiment aimer quelqu’un qui rêve d’une vie si différente ? Faut-il sacrifier ses propres désirs pour sauver son couple ? Ou bien faut-il accepter que parfois, l’amour ne suffit pas ?

Et vous… jusqu’où iriez-vous pour suivre les rêves de l’autre ?