Mon fils veut que je fasse le ménage chez lui… contre rémunération !
— Tu pourrais venir samedi matin ? demanda Daan, sans lever les yeux de son téléphone. On a vraiment besoin d’un coup de main pour le ménage. Sophie est débordée avec le boulot, et moi aussi.
Je restai figée, mon torchon à la main, le cœur battant. J’avais l’habitude d’aider mes enfants, mais cette fois, il y avait quelque chose de différent dans sa voix. Une gêne, peut-être ? Ou était-ce moi qui me faisais des idées ?
— Bien sûr, répondis-je, tentant de masquer ma surprise. Mais… tu sais, je ne veux pas m’imposer chez vous.
Il releva enfin la tête, l’air embarrassé.
— Non, maman, c’est pas ça… En fait, on voulait te proposer de te payer pour ça. Comme une aide-ménagère. Tu pourrais venir chaque semaine, et on te donnerait ce que tu veux.
Le mot « payer » résonna dans ma tête comme une gifle. Je sentis mes joues s’enflammer. Mon propre fils voulait me rémunérer pour nettoyer sa maison ? J’avais élevé Daan seule après le décès de son père, jonglant entre mon travail à la mairie et les devoirs du soir. Jamais je n’aurais imaginé qu’un jour il me verrait comme une employée.
— Tu veux… me payer ? soufflai-je, peinant à contenir mes larmes.
Il détourna les yeux, mal à l’aise.
— C’est juste… On ne veut pas abuser de toi. Et puis, tu pourrais arrondir tes fins de mois.
Je me sentis soudain vieille et inutile. Était-ce ça, vieillir ? Devenir une charge ou un service qu’on rémunère ?
Le soir même, j’appelai ma sœur, Françoise.
— Tu te rends compte ? Il veut que je fasse le ménage chez lui… et il veut me payer !
Françoise éclata de rire.
— Au moins il ne t’exploite pas !
Mais je n’arrivais pas à en rire. Je repensais à toutes ces années où j’avais tout donné pour Daan : les goûters préparés à la hâte, les nuits blanches à veiller sur lui quand il était malade, les sacrifices pour lui offrir une bonne éducation. Et aujourd’hui, il me proposait un billet en échange d’un coup d’éponge.
Le samedi matin arriva trop vite. J’hésitai longtemps devant la porte de leur appartement moderne à Lyon. Sophie m’ouvrit avec un sourire crispé.
— Merci d’être venue, Madeleine. On a laissé la liste sur la table. Si tu as besoin de quelque chose…
Je traversai le salon impeccable — bien plus propre que mon propre appartement — et découvris la fameuse liste : « Poussière salon, aspirateur chambres, salle de bain à fond ». À côté, une enveloppe avec mon prénom.
Je sentis une boule se former dans ma gorge. J’avais envie de tout laisser tomber, de claquer la porte et de leur crier qu’une mère n’est pas une femme de ménage. Mais je pensai à Daan enfant, à ses yeux brillants quand il me disait « Maman, t’es la meilleure ». Où était passé ce lien ?
Je commençai à frotter machinalement la table basse. Les souvenirs affluaient : Daan qui courait dans le jardin familial à Villeurbanne, ses premiers pas hésitants… Avais-je raté quelque chose dans son éducation ? Avais-je trop donné ? Ou pas assez ?
Sophie passa la tête dans l’embrasure de la porte.
— Madeleine… ça va ?
Je me retournai brusquement.
— Non, Sophie. Ça ne va pas du tout. Je ne comprends pas ce que je fais ici. Je ne suis pas votre femme de ménage !
Elle rougit violemment.
— On ne voulait pas te blesser… On pensait juste que ça pouvait t’aider aussi…
— Ce qui m’aiderait, c’est que vous me considériez comme votre famille, pas comme une employée !
Daan arriva à ce moment-là, alerté par nos voix.
— Maman… Je voulais juste que tu sois à l’aise. Je sais que ta retraite est petite…
Je le coupai net.
— Ma retraite n’a rien à voir là-dedans ! Ce dont j’ai besoin, c’est de sentir que j’ai encore une place dans ta vie. Pas d’être payée pour passer l’aspirateur !
Un silence pesant s’installa. Sophie baissa les yeux. Daan sembla soudain plus jeune, vulnérable.
— Je suis désolé, maman. Je voulais bien faire…
Je pris une profonde inspiration.
— Ce que je veux, c’est partager un repas avec vous, rire ensemble, être invitée parce que je suis ta mère. Pas parce que tu as besoin d’une aide-ménagère.
Daan s’approcha et me serra maladroitement dans ses bras.
— Pardon… Je crois qu’on a oublié l’essentiel.
Je sentis mes larmes couler sur sa chemise.
Ce jour-là, nous avons parlé longtemps. De la solitude des parents vieillissants, du manque de temps des jeunes couples, des maladresses qui blessent sans qu’on s’en rende compte. Nous avons décidé d’instaurer un vrai rituel familial : un dîner tous les dimanches soir où chacun apporte quelque chose — pas seulement des plats ou des services, mais aussi ses histoires et ses émotions.
En rentrant chez moi ce soir-là, je me suis demandé : pourquoi est-ce si difficile de parler vrai en famille ? Pourquoi l’argent vient-il parfois brouiller les liens du cœur ? Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ?