Le sourire d’Anaïs au milieu des flammes

« Maman, pourquoi il fait tout noir dehors ? » Ma voix tremblait, coincée entre la peur et l’incompréhension. La fumée s’infiltrait par les fenêtres closes, et dehors, le ciel était orange, comme si le soleil s’était mis en colère. Mon petit frère, Hugo, pleurait dans les bras de maman. Papa n’était pas là : il était parti aider les pompiers du village, comme tous les hommes de Saint-Rémy ce soir-là.

Je me souviens du bruit des sirènes, des cris dans la rue, des voisins qui couraient avec des seaux d’eau. J’avais huit ans, mais je savais déjà que quelque chose de grave était en train de se passer. Les flammes dévoraient la colline derrière notre maison, et l’odeur de brûlé me piquait les yeux.

« Anaïs, va chercher ton doudou et reste près de moi, d’accord ? » Maman essayait d’être forte, mais je voyais bien qu’elle avait peur. Je me suis blottie contre elle, serrant mon lapin en peluche contre ma poitrine. J’entendais les voix des pompiers dehors :

— On va essayer de contenir le feu ici !
— Attention, le vent tourne !

Le lendemain matin, il ne restait que des cendres là où il y avait encore des arbres la veille. Les pompiers étaient épuisés, couverts de suie et de sueur. Je les ai vus s’asseoir sur le trottoir devant l’école, buvant de l’eau à même la bouteille. Ils avaient l’air si tristes…

C’est là que j’ai eu une idée. J’ai couru jusqu’à la cuisine et j’ai attrapé tout ce que je pouvais : des madeleines, du jus d’orange, des pommes. J’ai mis tout ça dans un vieux panier en osier. Maman m’a regardée sans comprendre.

— Où vas-tu avec ça ?
— Je veux dire merci aux pompiers.

Elle a hésité, puis elle m’a suivie. Quand je suis arrivée devant eux, j’ai senti mon cœur battre très fort. Ils m’ont regardée avec surprise.

— Bonjour… Je m’appelle Anaïs. Merci d’avoir sauvé notre maison.

Un grand monsieur moustachu a souri doucement.

— Merci, petite. Ça fait du bien d’entendre ça.

J’ai posé le panier devant eux. Un autre pompier, plus jeune, avait les yeux rouges — sûrement à cause de la fumée, mais aussi peut-être à cause des larmes.

— Tu sais, Anaïs, parfois on se demande pourquoi on fait ce métier… Et puis il y a des moments comme celui-ci.

Ils ont partagé les madeleines en riant doucement. J’ai vu leurs épaules se détendre un peu. Maman avait les larmes aux yeux.

Le soir même, papa est rentré à la maison, épuisé mais vivant. Il m’a serrée très fort dans ses bras.

— Tu as été courageuse aujourd’hui, ma puce.
— Pas autant que toi…

Mais ce n’était pas fini. Le feu n’était pas totalement maîtrisé. Les jours suivants, j’ai continué à préparer des petits paniers avec maman : des dessins pour les pompiers, des mots doux écrits avec mes feutres colorés. Toute la classe s’est mise à dessiner aussi. Même Hugo a fait un gribouillage pour « les monsieurs du feu ».

Un matin, alors que je déposais un dessin devant la caserne improvisée sur la place du village, j’ai entendu deux pompiers discuter :

— Tu as vu comme les enfants sont touchés ?
— Oui… Ça me rappelle pourquoi on tient bon.

Mais tout le monde n’était pas d’accord avec ce que je faisais. Ma cousine Camille s’est moquée de moi à l’école.

— Tu crois vraiment que tes dessins vont arrêter le feu ?

J’ai baissé la tête. Peut-être qu’elle avait raison… Mais le soir même, un pompier est venu frapper à notre porte. Il tenait mon dessin dans ses mains.

— Anaïs ? Merci pour ton soleil et tes cœurs. Ça nous a donné du courage cette nuit.

J’ai souri timidement. Papa a posé sa main sur mon épaule.

— Tu vois ? Parfois un geste simple peut tout changer.

Les jours ont passé. Le feu a fini par s’éteindre grâce à la pluie tant attendue. Mais le village portait encore les cicatrices : des arbres calcinés, des maisons noircies… Pourtant, quelque chose avait changé entre nous tous. On se parlait plus souvent sur la place du marché ; on partageait nos histoires et nos peurs.

Un soir d’été, alors que le ciel était enfin redevenu bleu, papa m’a emmenée voir la caserne. Les pompiers avaient accroché tous nos dessins sur un grand panneau.

— Regarde ce que tu as semé ici, Anaïs.

Je n’ai rien dit. J’étais fière et triste à la fois — fière d’avoir aidé à ma façon ; triste pour tout ce qu’on avait perdu.

Aujourd’hui encore, quand je ferme les yeux, je revois le visage fatigué des pompiers et le sourire qu’ils ont eu grâce à une simple madeleine ou un dessin d’enfant.

Est-ce qu’on peut vraiment changer le monde avec un petit geste ? Ou est-ce que c’est juste une illusion pour se rassurer ? Qu’en pensez-vous ?