Le prix de l’amour : Chronique d’une mère blessée
« Tu n’as vraiment mis que ça dans l’enveloppe ? »
La voix de Camille, ma fille, résonne encore dans ma tête, tranchante comme une lame. Nous sommes dans la cuisine, le lendemain de son mariage. Les fleurs fanent déjà dans les vases, les nappes sont froissées, et moi, je suis debout, figée, une assiette à la main. Je n’ai pas le temps de répondre qu’elle enchaîne :
« Tu sais que les parents de Julien ont donné le double ? »
Je sens mes joues brûler. Je pose l’assiette, les mains tremblantes. Toute la nuit, j’ai repassé chaque détail de la fête : la salle louée à Honfleur, le traiteur choisi avec soin, la robe qu’elle avait tant rêvée… J’ai tout payé. Tout. Mais ce matin, rien ne compte plus que ce chèque dans une enveloppe blanche.
« Camille… tu sais bien que… »
Elle me coupe, les yeux brillants d’une colère que je ne lui connaissais pas :
« Non maman, tu ne comprends pas. Tout le monde a vu. Même les cousins en ont parlé ! »
Je m’effondre sur une chaise. Comment en sommes-nous arrivées là ?
Le téléphone sonne. C’est mon mari, Philippe. Il est parti tôt pour éviter les tensions. Il me demande si tout va bien. Je mens : « Oui, ça va. » Mais il entend ma voix cassée.
Je repense à mon propre mariage, il y a trente ans. Ma mère m’avait offert un service en porcelaine et un sourire fatigué. Jamais je n’aurais osé lui réclamer plus. Mais aujourd’hui, tout semble différent. Les réseaux sociaux débordent de photos de cadeaux somptueux, de voyages de noces à Bali ou à Santorin. Les attentes sont devenues folles.
Le soir venu, Camille ne descend pas dîner. Je monte dans sa chambre. Elle est assise sur son lit, le regard perdu sur son téléphone.
« Camille… tu veux qu’on parle ? »
Elle soupire : « À quoi bon ? Tu ne comprends jamais rien… »
Je m’assieds près d’elle. Je voudrais lui dire que j’ai économisé chaque euro pour ce mariage, que j’ai renoncé à mes vacances pour qu’elle ait la fête dont elle rêvait. Mais je n’ose pas. J’ai peur qu’elle prenne ça pour du chantage.
« Tu sais, l’argent… ce n’est pas tout », je murmure.
Elle éclate : « Mais tu ne comprends pas ! Tout le monde compare ! On a l’air ridicule ! »
Je sens une larme couler sur ma joue. Je me lève sans bruit et referme la porte derrière moi.
Les jours passent. Le silence s’installe entre nous comme un mur de glace. Philippe tente d’arrondir les angles :
« Elle est jeune, elle finira par comprendre… »
Mais je sens qu’il doute aussi. Peut-être avons-nous été trop stricts ? Trop discrets ?
Un dimanche matin, ma sœur Laurence vient prendre le café. Elle me regarde droit dans les yeux :
« Tu sais Mireille, aujourd’hui tout se monnaie. Même l’amour parental… »
Je ris jaune : « Tu crois vraiment ? »
Elle hausse les épaules : « On vit dans un monde où tout se compare. Les enfants veulent briller devant les autres… »
Je repense à Camille petite, courant dans le jardin avec ses couettes blondes et ses genoux écorchés. Où est passée cette enfant qui riait pour un rien ?
Le soir même, je trouve une lettre glissée sous ma porte.
« Maman,
Je suis désolée pour ce que j’ai dit. Je crois que j’ai été injuste. Mais j’ai eu tellement peur du regard des autres… J’ai eu peur qu’on pense que tu ne m’aimais pas assez.
Je t’aime.
Camille »
Je fonds en larmes. Je descends l’escalier en courant et la serre dans mes bras comme quand elle était petite.
« Tu sais Camille, il n’y a pas de prix pour l’amour d’une mère… »
Elle pleure aussi.
Mais au fond de moi, une question persiste : comment en sommes-nous arrivés à confondre amour et argent ? Est-ce vraiment cela que nous voulons transmettre à nos enfants ?
Et vous, chers lecteurs… Pensez-vous qu’un cadeau puisse vraiment mesurer l’amour d’un parent ?