À 38 ans, être mère : comment ne pas gâter son fils unique ?
— Tu ne comprends rien, maman ! Je veux ce jeu vidéo, tout le monde l’a !
La voix de Paul résonne dans le salon, tranchante, presque étrangère. Je serre les poings pour ne pas trembler. Il a neuf ans, mon fils, mon miracle, et pourtant il me parle comme si j’étais son ennemie. Je me revois, il y a dix ans, assise dans la salle d’attente de la clinique à Lyon, les mains moites, le cœur en miettes après une nouvelle fausse couche. J’avais 36 ans alors, et chaque mois qui passait me rappelait que je n’étais pas comme les autres femmes de mon âge : pas de petits bras autour du cou, pas de dessins maladroits sur le frigo.
Quand Paul est enfin arrivé, après tant d’années de traitements, d’espoirs déçus et de nuits blanches à pleurer dans les bras de mon mari Laurent, j’ai cru que tout irait bien. Qu’il suffirait de l’aimer assez pour qu’il soit heureux. Mais personne ne m’avait prévenue que l’amour pouvait aussi être un piège.
— Paul, tu as déjà eu un cadeau la semaine dernière… Tu sais que papa et moi ne pouvons pas tout t’acheter.
Il croise les bras, boude. Je sens la colère monter en moi, mais aussi une vague de culpabilité. Est-ce que je lui refuse parce que c’est juste ? Ou parce que j’ai peur qu’il m’en veuille ?
Laurent rentre du travail, fatigué. Il embrasse Paul distraitement et me lance un regard inquiet. Depuis quelques mois, nos disputes sont devenues plus fréquentes. Il me reproche de céder trop facilement, de transformer notre fils en petit tyran. Mais comment lui expliquer ce vide immense que j’ai ressenti toutes ces années ? Comment lui dire que chaque sourire de Paul est un miracle que je n’ose pas contrarier ?
Le soir, à table, la tension est palpable. Paul chipote dans son assiette.
— Je veux des pâtes, pas des haricots verts !
Laurent soupire.
— Claire, il faut qu’on parle…
Je sais ce qui va suivre. Il va encore me dire que je dois être plus ferme, que Paul doit apprendre la frustration. Mais comment faire quand on a attendu si longtemps pour être mère ? Quand chaque larme de son enfant vous transperce comme un couteau ?
Après le dîner, je m’enferme dans la salle de bains. Je regarde mon reflet : des cernes sous les yeux, des rides nouvelles autour de la bouche. Est-ce ça, être mère tardive ? Avoir peur en permanence de ne pas être à la hauteur ?
Le week-end suivant, nous sommes invités chez ma sœur Sophie à Annecy. Elle a trois enfants, tous élevés « à la dure » selon elle : pas de télé en semaine, pas de dessert sans finir les légumes. Paul fait une crise parce qu’il n’a pas le droit à la console. Les cousins le regardent comme une bête curieuse.
— Tu vois ce que ça donne quand on cède à tout ? me glisse Sophie à l’oreille.
Je ravale mes larmes. Je me sens jugée, incomprise. Personne ne sait ce que c’est d’avoir attendu un enfant aussi longtemps. Personne ne comprend cette peur viscérale de le perdre ou de le rendre malheureux.
Le soir même, Laurent explose.
— Claire, on ne peut plus continuer comme ça ! Paul devient insupportable ! Tu dois arrêter de tout lui passer !
Je crie aussi. Je lui reproche son absence, son travail qui passe avant nous. Il claque la porte et part marcher dans la nuit.
Paul vient me voir en pleurant.
— Maman, pourquoi papa est fâché ?
Je le serre contre moi. Mon petit garçon… Est-ce ma faute s’il est comme ça ? Est-ce moi qui ai tout raté ?
Les jours passent et je tente d’être plus ferme. Mais chaque fois qu’il pleure ou qu’il me dit « tu ne m’aimes plus », mon cœur se brise un peu plus. Je me surprends à envier ces mères qui semblent si sûres d’elles, qui posent des limites sans trembler.
Un soir, alors que Paul s’est endormi après une nouvelle crise pour un paquet de bonbons refusé, je m’assois sur son lit et caresse ses cheveux blonds.
— Est-ce que je fais bien ? Est-ce que je vais réussir à t’apprendre à être heureux sans tout avoir ?
Je repense à ma propre enfance à Grenoble : on n’avait pas grand-chose mais on riait beaucoup. Mes parents étaient stricts mais justes. Pourquoi est-ce si difficile pour moi aujourd’hui ?
À l’école, la maîtresse m’appelle :
— Madame Dubois, Paul a du mal à accepter la frustration… Il se met en colère facilement quand il n’a pas ce qu’il veut.
Je rentre chez moi bouleversée. J’ai peur pour lui. Peur qu’il souffre plus tard parce que je n’ai pas su lui dire non.
Le soir même, Laurent et moi parlons longtemps. Nous décidons d’aller voir une psychologue familiale. Pour Paul mais aussi pour nous. Pour apprendre à poser des limites sans culpabiliser. Pour retrouver un équilibre entre l’amour et l’autorité.
La première séance est éprouvante. J’y découvre mes propres blessures : la peur du manque, la peur d’être jugée comme une mauvaise mère parce que j’ai eu un enfant tardivement. Mais aussi l’espoir : celui d’apprendre à aimer mieux.
Aujourd’hui encore, rien n’est simple. Chaque jour est un combat entre mon envie de tout donner à Paul et la nécessité de lui apprendre à grandir. Mais je sais que je ne suis pas seule.
Est-ce qu’on peut vraiment ne pas gâter un enfant qu’on a tant attendu ? Est-ce que l’amour maternel doit toujours rimer avec sacrifice ou culpabilité ? Vous aussi, vous vous posez ces questions ?