Trouver la lumière dans l’ombre : Le combat de Camille pour sa mère

« Camille, tu peux venir ? » La voix de mon père tremblait, chose rare chez cet homme d’habitude si solide. Je suis descendue précipitamment les escaliers, le cœur battant. Dans le salon, maman était assise sur le canapé, les mains jointes, le regard vide fixé sur la fenêtre. Il faisait déjà nuit, et la lumière de la rue projetait des ombres étranges sur son visage. J’ai senti une angoisse sourde m’envahir.

« Maman ? » ai-je murmuré, m’agenouillant devant elle. Elle ne m’a pas répondu. Mon père a posé une main lourde sur mon épaule. « Elle ne parle plus depuis ce matin. Je ne sais plus quoi faire, Camille. »

C’était comme si un voile noir était tombé sur notre maison. Maman, si vive, si pleine de rires, n’était plus que l’ombre d’elle-même. Les jours suivants, elle errait dans la maison, absente, oubliant de manger, de se laver. Papa partait travailler plus tôt et rentrait plus tard, fuyant sans doute ce silence pesant. Je me retrouvais seule avec elle, à tenter de la ramener à nous.

Un soir, alors que je préparais le dîner, j’ai entendu un bruit sourd. J’ai couru dans sa chambre : elle était allongée sur le sol, les yeux ouverts, les larmes coulant sur ses joues. « Pourquoi tu pleures, maman ? » Elle a juste secoué la tête. J’ai senti la colère monter en moi, mêlée à une peur panique. « Tu n’as pas le droit de nous abandonner ! » ai-je crié, puis j’ai éclaté en sanglots.

Les semaines ont passé. Les médecins parlaient de dépression sévère, de traitements, de patience. Mais rien ne semblait fonctionner. Je me suis sentie impuissante, inutile. J’ai commencé à sécher les cours, à m’enfermer dans ma chambre. Je priais, parfois sans y croire, murmurant des mots appris enfant : « Seigneur, ne la laisse pas partir… »

Un dimanche matin, alors que papa était parti faire des courses, j’ai entendu maman murmurer. Je me suis approchée doucement. Elle répétait : « Je suis fatiguée… si fatiguée… » J’ai pris sa main dans la mienne. « Je suis là, maman. Tu n’es pas seule. » Elle a serré mes doigts, si fort que j’ai eu mal. C’est ce jour-là que j’ai compris que je ne pouvais pas la sauver seule.

J’ai cherché de l’aide. J’ai appelé ma marraine, Hélène, une femme pieuse et douce. Elle est venue le lendemain, apportant avec elle une chaleur que je croyais disparue. Elle a parlé à maman, lui a lu des psaumes, a prié avec elle. Peu à peu, j’ai vu une lueur revenir dans les yeux de maman. Ce n’était pas un miracle, mais une lente remontée vers la lumière.

Un soir, alors que je rangeais la cuisine, maman est venue me voir. Elle s’est assise à table et m’a regardée longuement. « Je suis désolée, Camille. Je t’ai laissée seule… » Sa voix était rauque, brisée. J’ai fondu en larmes. « Non, maman. C’est moi qui suis désolée… Je n’ai pas su t’aider. » Nous avons pleuré ensemble, longtemps, sans honte.

À partir de ce jour, nous avons instauré un rituel : chaque soir, nous allumions une bougie et nous priions ensemble. Parfois, c’était silencieux ; parfois, nous parlions à voix haute de nos peurs et de nos espoirs. Petit à petit, la maison a retrouvé ses couleurs. Papa a recommencé à rentrer plus tôt. Nous avons ri à nouveau autour de la table.

Mais tout n’était pas réglé. Il y avait des rechutes, des jours où maman replongeait dans le silence. Je me sentais parfois épuisée, en colère contre elle, contre la vie, contre Dieu même. Un soir, j’ai crié dans ma chambre : « Pourquoi nous ? Pourquoi elle ? » J’ai eu honte de ma colère, mais Hélène m’a dit un jour : « La foi n’efface pas la douleur, Camille. Elle t’aide juste à tenir debout quand tout s’écroule. »

Aujourd’hui encore, je vis avec la peur que tout recommence. Mais j’ai appris à ne plus porter ce fardeau seule. J’ai compris que demander de l’aide n’est pas un signe de faiblesse mais de courage. Maman va mieux, même si elle reste fragile. Nous avons appris à parler vrai, à ne plus cacher nos blessures.

Je repense souvent à cette nuit où j’ai cru la perdre pour toujours. Si je n’avais pas trouvé la force de tendre la main, où en serions-nous aujourd’hui ? Est-ce que d’autres familles vivent ce même cauchemar en silence ? Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ?