Trois bébés en un an : mon combat pour garder la tête haute
— Camille, tu ne peux pas continuer comme ça ! Tu vas t’épuiser, tu vas y laisser ta santé !
La voix de ma mère résonne encore dans la cuisine, entre deux biberons et les pleurs de Léon. Je serre fort la tasse de café, mes mains tremblent. Il est six heures du matin, et je n’ai dormi que deux heures. Je regarde par la fenêtre, les lumières de la ville s’allument doucement. Paris ne dort jamais vraiment, mais moi, je rêve d’une nuit complète.
Je m’appelle Camille, j’ai trente-deux ans, et l’année dernière, j’ai donné naissance à trois enfants. Non, ce ne sont pas des triplés. Trois grossesses successives. Trois bébés en moins de douze mois. Je suis seule. Le père ? Il a disparu après la première échographie de Chloé, notre aînée. Il n’a jamais voulu voir Léon ni Mathis. Je n’ai plus eu de nouvelles depuis ce fameux SMS : « Je ne suis pas prêt pour ça. »
Je me souviens du jour où j’ai appris que j’étais de nouveau enceinte alors que Chloé n’avait que trois mois. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps dans la salle de bains, le test à la main. Ma mère m’a trouvée là, recroquevillée sur le carrelage froid.
— Camille… tu ne peux pas garder cet enfant… Tu es déjà à bout.
Mais comment choisir ? Comment abandonner ce petit être qui grandissait déjà en moi ? J’ai gardé Léon. Puis Mathis est arrivé par surprise, un an après Chloé. Trois enfants, trois paires d’yeux qui me fixent chaque matin avec confiance et amour.
Les voisins me regardent avec pitié ou jugement. Madame Dubois, du troisième étage, murmure toujours à son amie :
— Elle n’a pas de mari, trois enfants… On se demande bien comment elle fait.
Je fais comme je peux. Je cours après le temps, après l’argent aussi. Les couches coûtent cher, les petits pots encore plus. J’ai dû quitter mon poste d’assistante administrative pour m’occuper d’eux. La CAF aide un peu, mais ce n’est jamais assez. Parfois je saute un repas pour qu’ils aient leur lait.
Les nuits sont longues et solitaires. Quand Léon fait ses dents et hurle à deux heures du matin, je me demande si je vais tenir le coup. Parfois je crie dans l’oreiller pour ne pas réveiller les enfants. Parfois je pleure en silence dans la salle de bains.
Ma sœur Lucie vient parfois m’aider le week-end. Elle apporte des plats préparés et joue avec les petits pendant que je dors une heure ou deux. Mais elle a sa propre vie, son travail à Lyon, son mari compréhensif.
Un soir d’hiver, alors que Mathis avait de la fièvre et que Chloé refusait de dormir sans moi, j’ai craqué devant ma mère.
— Je n’y arrive plus… Je suis fatiguée…
Elle m’a prise dans ses bras comme quand j’étais enfant.
— Tu es forte, Camille. Mais tu as le droit de demander de l’aide.
J’ai appelé une assistante sociale. Elle m’a parlé d’un groupe de soutien pour mères isolées dans le quartier. J’y suis allée avec mes trois enfants en poussette double et porte-bébé. Là-bas, j’ai rencontré Sophie, qui élève seule ses deux garçons depuis que son mari est parti avec une autre femme. On a ri ensemble pour la première fois depuis des mois.
Petit à petit, j’ai appris à accepter l’aide des autres. Les voisins ont commencé à changer leur regard : Madame Dubois m’a proposé un panier de légumes du marché ; Monsieur Martin a réparé ma machine à laver sans rien demander en retour.
Mais il y a toujours ces moments où la solitude me rattrape. Quand je vois des familles entières au parc le dimanche, des papas qui lancent la balle à leurs enfants pendant que moi je jongle entre trois cris et deux couches sales… Je me demande si mes enfants souffriront de l’absence de leur père.
Un jour, Chloé m’a demandé :
— Maman, pourquoi on n’a pas de papa ?
J’ai senti mon cœur se serrer.
— Parce qu’on est une équipe toi et moi… et tes frères aussi. On est une famille différente, mais on s’aime très fort.
Elle a souri et m’a serrée dans ses bras.
Aujourd’hui encore, je me bats chaque jour pour eux. Je rêve d’un avenir où ils seront fiers de moi, où ils comprendront que l’amour d’une mère peut déplacer des montagnes même quand tout semble perdu.
Parfois je me demande : est-ce que la société française est prête à accepter des familles comme la mienne ? Est-ce qu’on peut vraiment s’en sortir seule dans un monde fait pour les couples ? Qu’en pensez-vous ?